Dans la vidéo de Manchester; il dit:
"Ne devenez pas un 'maniaque du kesa'. Vous n'avez pas besoin d'essayer de faire en sorte que tous vos points soient parfaits. En France, particulièrement, à cause de la tradition de la broderie française, ils essaient bien trop de faire des points parfaits. Vous n'avez pas besoin d'être obsédés par la perfection de la distance entre chaque point. Vous n'êtes pas en train de faire une oeuvre d'art. Une de mes disciples, Joshin, lorsqu'elle cousait un kesa, allumait de l'encens, s'en purifiait le corps avec la fumée, et récitait 'Namu Amida Butsu' à chaque point."
Puis, l'intervieweuse lui dit:
"Etonnant, n'est-ce pas!? Même au Japon, il n'y a pas grand monde pour pratiquer zazen, n'est-ce-pas? Donc, j'ai été surprise d'apprendre qu'il y avait bon nombre de groupes de zazen en Europe."
K: "Oui, depuis une trentaine d'années. Un type du nom de Deshimaru, qui était un disciple de Sawaki Kodo, est devenu moine juste avant la mort de Sawaki. Puis, il est venu en Europe pour enseigner Zazen, et ce fut le début."
I: "Ah bon? Donc Deshimaru est venu en Europe pour enseigner Zazen pour la première fois, c'est bien ça?"
K: "Oui, cela devrait être il y a une trentaine d'années. Je ne le connaissais pas si bien. Il venait aux groupes de Sawaki à Tôkyô, et quand Sawaki s'est retiré à Kyôto, à Antaiji, il est venu souvent lui rendre visite. Et quand il venait, nous picolions ensemble en grignotant des marinades, en parlant de nos rêves d'aller répandre Zazen en Europe et au delà."
I: "Je vois: vous vouliez répandre Zazen dans le monde."
K: "Oui, tous les deux, Deshimaru et moi, avions ce rêve. Après cela, j'ai perdu contact avec lui, mais après sa mort, ses disciples étaient perdus, et recherchèrent quelqu'un pour le remplacer. A peu près à la même époque, j'ai été invité en Suède pour enseigner Zazen. C'est ainsi qu'ils ont su qu'il restait un disciple de Sawaki. Ses disciples sont presque tous morts, mais j'étais très jeune, et je survis donc.
Deshimaru parlait toujours de Sawaki. Pour les Européens qui pratiquent Zazen, Sawaki est une légende."
I: "Ah bon! Mais je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de Japonais qui connaissent Sawaki Kôdô, non? J'ai peur de ne rien connaître de lui. Il appartenait à la Sôtôshu?"
K: "Il n'avait rien à faire du système de la Sôtôshu, mais il se rendait partout où il y avait quelqu'un qui était sincèrement intéressé à Zazen. Il n'avait pas de temple à lui. Il disait qu'il y avait trois choses dont il ne voulait pas: son propre temple, une épouse ou de l'argent. Même si'l n'y avait qu'une seule personne qui était intéressée à apprendre à faire Zazen, il y allait volontiers, que ce soit un temple, l'appartement de quelqu'un ou un centre communautaire. Sawaki avait du charisme et attirait beaucoup de monde. Il aurait pu être le boss d'un gang de yakuzas. Mais il ne voulait pas prendre les gens comme ses propres disciples. Il les traitait comme des disciples de Dôgen. Comme des disciples de Zazen même."
I: "Savez-vous à quel point Zazen est répandu en Europe?"
K: "Je n'en sais rien. Je ne vais que là où je suis invité."
I: "Venez-vous souvent en Europe?"
K: "Au cours des 10 dernières années, 7 ou 8 fois, je pense. L'an dernier, déjà, je suis venu ici. Quand je viens, je cherche à visiter plus d'un endroit, et je reste quelques semaines."
I: "Donc, vous venez en Europe et vous enseignez le kesa et zazen aux gens. Que pensez-vous de l'attitude européenne vis-à-vis du kesa et de zazen? Qu'en pensez-vous, en particulier en comparaison avec les attitudes des Japonais sur les mêmes sujets?"
K: "J'ai l'impression qu'ils sont sérieux et qu'ils cherchent à dépasser un blocage de la culture européenne. Je le ressens fortement. Au Japon, on ne pratique le Bouddhisme qu'aux funérailles et comme partie d'une tradition. Il y a donc très peu de monde qui ait envie d'en savoir plus. Les Européens sont plus sérieux. Ils savent qu'ils ne savent rien du Bouddhisme. Cependant, en France, l'attitude est différente. Ils semblent penser que la culture européenne est supérieure. Parfois, cela m'agace."
I: "Ah bon! Donc, les Français pensent que, OK, nous sommes supérieurs, mais voyons un peu ce nouveau truc..."
K: "L'attitude de certains n'est pas très sincère, et ils me regardent de haut. Pas tout le monde, quand même. Je peux aller partout, où qu'on me demande, pour enseigner zazen, peu importe le pays ou l'âge, mais j'ai l'impression qu'en France, leur ego est fort; ils se sentent supérieurs.
"Les Anglais ne sont pas comme ça. En particulier ici (dojo de Manchester). Je ne sais pas pour les autres dojos. Demain, je vais enseigner zazen aux Chinois de Chinatown, ici à Manchester. L'an dernier, quand je suis venu, ils m'ont demandé de leur enseigner zazen, et je l'ai fait. Ils viennent surtout de Taïwan. Une fois cela fait, ils ont voulu recommencer. J'ai pratiqué avec une vingtaine de personnes.N'est-ce pas intéressant que je vienne enseigner zazen à des Chinois de Manchester?"
I: "Donc, l'attitude des Britanniques est meilleure?"
K: "En particulier ce dojo, dont les membres sont très chaleureux. Même si je ne sais pas parler anglais, ils ne m'en veulent pas et écoutent attentivement. C'est donc très agréable pour moi. Je peux parler du point de départ du Bouddha Gautama, dont d'autres moines ne parleraient pas."
I: "C'est très intéressant, alors que même les Japonais n'en savent pas grand-chose."
K: "Au Japon, le champ est pourri, donc, peu importe les bonnes semences qu'on peut y planter, rien ne marche. Ici, la terre est bonne, donc, si on sème de bonnes graines, on peut avoir une bonne récolte.
"Deshimaru a apporté ici le kesa qu'il avait reçu de Sawaki et a enseigné et zazen et le kesa. Mais Deshimaru ne connaissait pas grand-chose dans le détail. Il n'avait jamais fait de recherche spécialisée sur le kesa. De sorte que certaines parties de ce qu'il a enseigné étaient justes, mais d'autres étaient erronées. Par exemple, il cousait avec du fil blanc.
"François m'a dit: 'Avec Zazen, le kesa se répand lui-aussi. Cependant, on dirait qu'un enseignement erroné se répand, donc, pendant que vous le pouvez encore, venez nous enseigner la vraie couture du kesa. C'était il y a trois ans.
"Au Japon, nous sommes un peu complaisants. Les moines n'y poursuivent pas sérieusement le sens de la vie, mais se contentent de faire des cérémonies. Très peu d'entre eux se préoccupent de chercher le sens de la vie. Ils ont donc oublié leur raison d'être d'origine. Sawaki Kôdô étudiait la philosophie de zazen plus comme quelqu'un qui souffrait dans sa propre vie qu'en tant que moine. Je ne suis pas né dans une famille de moines, mais j'étais l'aîné d'un fermier de la préfecture de Kagawa. Moi aussi je me débattais pour trouver un sens à ma vie, et je suis tombé sur un livre de Dôgen, le Genjôkôan. J'ai alors cherché un enseignant, et par miracle, j'ai réussi à rencontrer Sawaki Kôdô. J'avais quinze ans et il en avait 75. Pendant 10 ans, jusqu'à sa mort, je suis resté avec lui. Donc, je ne connais que zazen. Je ne sais pas comment gagner ma vie. Tout ce que j'ai, c'est un permis moto et le niveau le plus bas pour un moine de la Sôtôshu. "
Dernière édition par Yudo, maître zen le Jeu 14 Avr 2016 - 15:47, édité 1 fois