Shikantaza
(Seulement assis)
Rév. Kenshu Sugawara
Centre pour les études zen Soto
Moniteur de recherce senior
1. Shikantaza en tant que doctrine essentielle du bouddhisme zen Sôtô
Dans la constitution de la Sotoshu (Sotoshu shuken), la doctrine du bouddhisme zen Sôtô (shushi) est énoncée comme « … respectant le vrai Dharma transmis de personne à personne par les bouddhas patriarches, la doctrine Sotoshu consiste à réaliser shikantaza (seulement assis) et sokushinzebutsu (l’esprit lui-même est Bouddha) ». Cela signifie que nous, en tant que disciples du bouddhisme zen Sôtô, nous devrions pratiquer shikantaza conformément au Dharma correct purement transmis par les bouddhas patriarches. Le zazen correctement transmis est un art extraordinaire et essentiel pour tous les Bouddhas Tathagatas qui ont transmis un Dharma inconcevable pour réaliser l’éveil insurpassable, complet. Le zazen est la voie authentique pour nous libérer dans le royaume du samâdhi dont on fait l’expérience par soi-même (jijiyu zanmai).
En chinois, l’expression shikantaza est du langage vernaculaire. Shikan indique l’idée d’« être uniquement concerné par quelque chose ».Taza signifie « s’asseoir ». Donc shikantaza veut dire « être uniquement concerné par le fait d’être seulement assis ».
Cette expression a été mise en valeur dans le bouddhisme zen Sôtô sous la puissante influence du maître zen Tendo Nyojô (T'ien-t'ung Ju-ching). Il était l’enseignant principal du maître zen Eihei Dôgen, qui a fondé le monastère Eiheiji. On ne trouve pas cette expression dans les Propos attestés du maître zen Nyojô, mais dans le Hokyoki le maître zen Dôgen a dit :
Le prêtre principal (Nyojô) a enseigné : « La pratique de zazen (sanzen) représente l’abandon du corps-esprit. Vous n’avez pas besoin de brûler de l'encens, de rendre hommage, d’effectuer le nembutsu, de faire pénitence, ou de lire des sutras. Juste d’être assis d’une manière résolue. »
Le maître zen Keizan a dit du maître zen Nyojô : « Il a toujours excellé au zazen » (Denkoroku du maître zen Keizan, chapitre 50). Comme nous pouvons le voir dans les Propos du maître zen Eihei Dôgen (Shôbôgenzô Zuimonki), le maître zen Nyojô a pratiqué personnellement zazen avec une grande assiduité. Il a intégré zazen comme étant un élément important de l’apprentissage monastique, même s’il était critiqué pour cela. Dans le fascicule des « Sutras de Bouddha » (Bukkyo) dans le Shôbôgenzô, Dôgen dit que le maître zen Nyojô parlait « toujours » de l’extrême importance de shikantaza. Cela suggère que dans les sermons habituels il a fortement inspiré les disciples à pratiquer shikantaza.
Dans le chapitre « Illumination de Xuefeng au mont Ao Shao à Tu-Tang-Ji » (Sodoshu 祖堂集), nous trouvons le mot « shikantaza » associé à « shikantasui » (seulement dormir). Mais plus tard, dans le « Shôbôgenzô » de Tahui, ils ont été remplacés par ikkozazen (zazen d’une manière résolue) et tadakoretasui (sommeil quotidien). Par le terme shikantaza les maîtres zen Nyojô et Dôgen ont essayé de communiquer l’idée d’une « manière résolue » et de « quotidien ». Nous pratiquons le zazen quotidiennement, mais il doit être pratiqué d’une « manière résolue » plutôt que d’être effectué comme une routine habituelle.
C’est parce que nous admirons et aspirons à ressembler aux bouddhas et patriarches qui ont pratiqué shikantaza, et sommes profondément émus par l’esprit de la Bodhi qui suit la sagesse/vie des bouddhas et patriarches, que nous acceptons et nous installons dans la pratique de shikantaza.
2. Le contenu de shikantaza
Shikantaza possède deux aspects sur lesquels on peut insister :
(1) L’emphase sur zazen et le rejet des autres pratiques (la dévotion complète à zazen)
(2) Le rejet de zazen comme moyen pour arriver à une fin (unicité de la pratique et de la réalisation)
En ce qui concerne le premier aspect, le maître zen Nyojô a rejeté les pratiques autres que zazen, du fait de brûler de l’encens à la lecture de sutras, dans les propos cités plus haut. Ce rejet possède plusieurs dimensions. La première est la valeur religieuse supérieure de zazen par rapport à d’autres pratiques. Dans le Shôbôgenzô Zuimonki, livre 6, le maître zen Dôgen a répondu à un pratiquant qui avait comparé zazen à la pratique du koan : « Même s’il peut sembler que vous ayez une compréhension en lisant des koans, la réalisation de l’illumination est due au mérite du zazen assis. » À un jodo à Eiheiji, il a dit : « Le vrai Dharma correctement transmis par les bouddhas et patriarches consiste seulement à rester assis » (Eihei Koroku vol. 4-319, jodo). Nous pouvons voir les autres types de pratique rejetés et l’accent mis sur le zazen, comme étant la pratique la plus importante. Cependant, Dôgen a écrit un fascicule sur la « Lecture des sutras » (Kankin). De plus, il y a une phrase concernant « la lecture de sutras et la récitation des noms de Bouddha » dans le « Eiheiji Chiji Shingi ». Cela implique que Dôgen n’a pas complètement exclu d’autres pratiques de l’apprentissage monastique.
Dôgen décrit la bonne relation entre shikantaza et les sutras bouddhiques comme ceci : « … la pratique du zazen assis est incontestablement un sutra de Bouddha du début à la fin et de la fin au début » (Shôbôgenzô Bukkyo (« Sutras de Bouddha »)). Par cela Dôgen voulait dire que zazen est un sutra bouddhique. De la même manière, on peut dire qu’un sutra bouddhique est zazen. Ainsi, à Daibutsuji (Eiheiji) où les observances quotidiennes centrées sur zazen ont été établies, selon le Bendoho (« Modèle pour s’engager dans la Voie »), un point essentiel de l’apprentissage monastique était indubitablement shikantaza. À cause de cela, Dôgen a encouragé les pratiquants à favoriser zazen au détriment d’autres pratiques. Il a mis l’accent sur le fait qu’ils doivent pratiquer zazen « à l’exclusion de toutes les autres activités » comme l’a fait Hongren le cinquième patriarche sur le mont Huangmei (Shôbôgenzô Zazengi (« Instructions pour le zazen »)).
En ce qui concerne le second aspect, si nous pratiquons comme un moyen pour arriver à une fin, cette pratique perd son rôle une fois le but atteint. Cependant, dans le Fukanzazengi le maître zen Dôgen attire l’attention sur l’exemple du Bouddha Shakyamuni qui est resté assis en position de zazen pendant six ans, bien qu’il fût suffisamment sage pour connaître le Dharma de Bouddha à sa naissance. Il mentionne aussi Bodhidharma, qui est resté assis face à un mur pendant neuf ans après être venu en Chine, bien qu’il eut déjà atteint le sceau de l’esprit. Dôgen insiste sur le fait que les bouddhas et patriarches ne pratiquent pas zazen comme un moyen pour arriver à une fin.
Ainsi, comme cela est dit dans Gakudo Yojinshu, « La réalisation réside dans la pratique ». L’illumination est clairement manifestée dans le zazen des Bouddhas et patriarches. Dans la même veine, dans le Bendowa, le maître zen Dôgen a écrit : « Supposer que la pratique et la réalisation ne sont pas une chose unique est une vue de ceux qui sont en dehors de la Voie. Dans le Dharma du Bouddha elles sont inséparables. » Il affirme que lors de l’instruction des débutants nous devons leur enseigner à ne pas s’attendre à une réalisation en dehors de la pratique. La pratique est la réalisation immédiate, originale. La pratique de l’esprit du débutant est elle-même la réalisation originale complète.
Dôgen distingue clairement le zazen des bouddhas et patriarches du zazen des autres écoles.
Le principe du zazen dans d’autres écoles est d’attendre l’illumination. Par exemple, pratiquer est comme traverser un grand océan sur un radeau, en pensant qu’après avoir traversé l’océan on doit se débarrasser du radeau. Le zazen des bouddhas et patriarches n’est pas comme cela, c’est seulement la pratique du Bouddha. Nous pourrions dire que la situation de la maison du Bouddha est celle dans laquelle l’essence, la pratique, et l’exposition du Dharma sont une seule et même chose. (Eihei Koroku, vol. 8:11)
Dans d’autres écoles, zazen est un moyen d’atteindre l’illumination. Comme un radeau, il n’est plus utile quand le but est atteint. Certaines personnes se vantent de leurs expériences de grande illumination et de kensho. Si leur pratique de zazen régresse à cause d’une telle expérience, cette expérience n’est rien qu’une illusion qui devient une entrave à la continuation de la pratique.
Le maître zen Dôgen dit que le zazen des bouddhas et patriarches est la pratique de Bouddha. C’est la pratique très simple et pure de rester assis en nous débarrassant de nos opinions. Un tel zazen incarne la « situation de la maison de Bouddha » dans laquelle l’essence (fondation/illumination), l’exposition (explication du Dharma) et la pratique sont une seule et même chose. Ainsi, il n’y a pas besoin de rechercher le Bouddha en dehors de zazen. Zazen n’est pas une pratique qui produit un bouddha patriarche mais une action qui fait que les bouddhas et patriarches vivent en tant que bouddhas et patriarches. Les bouddhas et patriarches sont des êtres qui ont déjà clarifié toutes les sortes d’illumination et d’états psychologiques. Ils n’ont plus rien à obtenir, plus rien à réaliser. Quand zazen est apprécié en tant que pratique effectuée par ces bouddhas et patriarches, le contenu de ce zazen est appelé « rien à atteindre, rien à illuminer » (Shôbôgenzô Zuimonki, livre 6).
Quand il n’y a rien à obtenir, rien à réaliser, le zazen assis est « l’abandon du corps-esprit (shinjin datsuraku) ». L’abandon du corps-esprit n’est pas un état psychologique merveilleux à obtenir comme résultat du zazen assis. C’est plutôt que zazen lui-même n’est rien d’autre que « l’abandon du corps-esprit ». C’est le fait d’échapper à toutes sortes de résistance. Quand nous sommes assis en zazen, notre corps-esprit s’abandonne naturellement et le vrai Dharma se manifeste (voir Fukanzazengi).
Version originale écrite en japonais par le Rév. Kenshu Sugawara
Traduit en anglais par le Rév. Issho Fujita
Assisté du Rév. Tonen O'Connor et Rév. Zuiko Redding