Voici quelques réflexions au sujet du thème : Zen et action juste, développé par Taïkan Jyoji (maître zen rinzai).
Source → http://aucoeurduzen.blogspot.fr/2017/11/zen-et-action-juste.html
L'intention n'est pas de critiquer le zen rinzai ou le maître, mais de donner le point de vue d'un moine sôtô sur ce qui est exposé par Taïkan Jyoji.
Taïkan Jyoji a écrit:Si bien que dans le Zen « l’Action juste » prend une autre tournure. Elle est en relation étroite avec l’instant présent et l’action en cours. Je m’explique : Passé et futur n’existent plus ou n’existent pas encore. Ou, s’ils existent, existent dans notre tête par la pensée. C’est maintenant que je pense à hier, à la semaine dernière, à l’an dernier. Il en va de même pour le futur. Maintenant je pense à ce qui se passera après, plus tard, bientôt. Si bien que le seul moment qui existe vraiment c’est le moment présent. Mais il se trouve que vivre ce moment présent est bien difficile. Il oblige, pour être vécu globalement, de le faire dans la non-pensée. Exemple : Je suis en train de balayer, tâche très noble contrairement à ce qu’on pense. Si tout en balayant je pense à ce que je devrai faire demain, à ce que j’ai oublié de faire hier, du coup, je ne suis plus dans ce que je fais, au moment où je le fais. Mon corps est d’un côté, ma tête de l’autre !
"Il oblige, pour être vécu globalement, de le faire dans la non-pensée." Ce n'est pas vraiment exact puisque dans l'exemple de balayer il suffit de penser à ce que l'on fait c'est-à-dire de balayer. Si d'autres pensées surgissent il faut les laisser passer et ramener l'esprit sur l'acte de l'instant présent. Ne pas penser du tout peut amener le jardinier à commettre des erreurs, à balayer là où il ne faudrait pas, à être lent ou trop rapide, bref ce n'est pas nécessairement la bonne méthode car on ne reste pas plus que quelques instants sans aucune pensées et des pensées surgissent du tréfonds de la non-pensée.
Taïkan Jyoji a écrit:L’état de non-pensée se dit en sanscrit « samādhi » et s’acquière par le zazen. Il s’agit d’un état d’absorption et de concentration très difficile à atteindre. Mais c’est de lui qu’émerge son soi profond. Personnellement il m’a fallu de nombreuses années avant d’arriver à la cessation de la pensée.
Le samādhi, en ce qui concerne l'approche yogique, n'est pas uniquement un état de non-pensée. Il existe de nombreuses sortes de samādhi et en tout cas il y a avec ou sans activité mentale.
Pour le bouddhisme, le terme a deux acceptions : concentration et établissement dans l'éveil.
- En ce qui concerne la concentration il y a plusieurs niveaux.
- En ce qui concerne l'éveil, le samādhi est le huitième membre du noble sentier octuple.
Dans la tradition zen, zazen est l'attitude de l'union de sila, du samādhi et de prajñā.
Le quatrième principe de Maître Dôgen c'est :
Jijuyu zanmai
Le samadhi de zazen
extrait de : https://zen-et-nous.1fr1.net/t304-les-sept-principes-de-dogen-commentes-par-maitre-deshimaru#4324
Jijuyu veut dire accepter, recevoir par soi-même ; zanmai, le samadhi. Le samadhi est reçu par soi-même, seul. On peut seul en recueillir la joie. Les autres ne peuvent pas le comprendre. Le samadhi du zen, c’est hishiryo. C’est un point très important par rapport aux autres religions où cette notion n’existe pas. Hishiryo est le vrai samadhi, l’authentique joie. Si l’on fait zazen, à ce moment-là, on peut atteindre le vrai kaku soku.
Qu’est-ce que kaku soku ? Parfois, il est difficile de donner une traduction juste. Maître Kodo Sawaki parlait souvent de kaku soku. Kaku est très important. Kaku, l’intuition. Soku, toucher. Comprendre par le toucher, le sentir, l’être.
Je dis toujours, si vous pratiquez zazen, votre zazen lui-même est Dieu ou Bouddha. Inutile de penser : « Je dois me connecter avec le cosmos. » Durant zazen, ce lien s’établit automatiquement à travers le corps et l’esprit, même si des pensées personnelles apparaissent. En faisant zazen, vous pouvez devenir jijuyu zanmai. En vous rasant, en revêtant le kesa et le kolomo, en pratiquant zazen, vous suivez le véritable Dharma et devenez jijuyu zanmai.
Jijuyu zanmai. Abandonner l’ego, suivre l’ordre cosmique. Ainsi, la vie prend une valeur véritable. Si l’ego et le cosmos sont en harmonie, on ne tombe pas malade et le corps devient fort comme celui d’un lion ou d’un tigre. Les gens qui attrapent froid sont comme des grenouilles. Elles n’ont pas assez de force sous le nombril. Je remarque que durant zazen, chacun de vous est très malin. Vos postures se développent. Vous devenez des saints. Mais en sortant du dojo, on revient vite à la condition anormale et on tombe dans le monde des phénomènes, du social, du vulgaire. Si la direction de l’esprit est erronée, même si vous continuez zazen jusqu’à votre mort, ce n’est pas efficace.
Taïkan Jyoji a écrit:Lorsqu’en zazen, on s’absorbe sur le souffle, et sur le souffle seulement, et qu’on ne laisse pas passer les pensées (car « laisser passer les pensées » c’est encore une manière de penser) mais qu’on se concentre sur son principe de vie même, la respiration, dès lors que vivre c’est respirer, alors les pensées, bien que tenaces au plus haut point, finissent pas s’atténuer, et de moins en moins à s’imposer dans sa boîte crânienne… bref, à lâcher prise.
C'est justement ce point qui est fondamental pour le sôtô zen : "Hishiryo ! au-delà de la pensée."
Un jour, après zazen, un moine demanda à Yakusan :
- - "Quand vous êtes assis comme une montagne immobile, comment pensez-vous ?"
- "Je pense à partir de la non-pensée" répondit le maître.
- "Mais comment pense-t-on à partir de la non-pensée ?"
- "Hishiryo ! au-delà de la pensée."
Donc il est préférable de laisser passer les pensées que d'entrer en guerre contre le fonctionnement du mental. Ce qui compte c'est d'être indifférent à ce processus car les êtres humains font des pensées comme les crabes font des bulles. Les laisser passer et être au-delà de la pensée voilà l'attitude dans le zen sôtô, et cela permet de lâcher le corps et l'esprit (shin jin datsu raku).