Beaucoup pensent qu’il est dans l’esprit du zen que les gestes du cérémonial soient naturels. Or, ce n’est pas le naturel qui prévaut , mais la simplicité, et même une « noble simplicité ». Et ce n’est pas la même chose.
Porter la main au front pour s’éponger est un geste naturel. Porter la main à son front pour le toucher avec du shoko n’est pas un geste naturel, mais un geste rituel, c’est-à-dire codé, inutile (au sens de non utilitaire), gratuit et pour tout dire symbolique.
L’engagement religieux d’ailleurs, n’a pas la propriété des gestes rituels. Dans le domaine profane, la vie de relation en est remplie (trinquer, faire le salut militaire, offrir des fleurs...). On parle même de codes de politesse.
Codé
Le geste codé est celui dont la signification ne peut être perçue que par des initiés. Comme par exemple, le geste nommé "Gassho" consistant à joindre la main gauche et la main droite placées devant le cœur puis s'incliner doucement vers l'avant pour saluer avec un esprit de modestie. Lorsqu'on pratique ce geste, tout l’être est touché, on n'est pas dans un esprit guerrier ou violent. C'est un geste d'humilité et de respect envers l'autre, les autres, le monde entier. Ainsi, en pratiquant ce geste à de très nombreuses reprises, l'esprit de ce geste nous éduquera inconsciemment, automatiquement et peu à peu nous pourrons développer un esprit de compassion libre des tricheries du mental.
Le code ici n’est pas une « chasse gardée », mais la marque spécifique d’un groupe particulier ou d’une relation particulière. Dans la vie profane, les embrassades, par exemple, sont aussi complètement codées. Suivant les régions c'est deux ou trois fois.
Inutile (non utilitaire)
Que le geste rituel soit non utilitaire ne signifie pas qu’il ne sert a rien, mais que l’on peut s’en passer. On ne peut pas se passer de manger, mais on peut parfaitement se passer de s'incliner en gassho. C’est seulement au plan spirituel que le croyant estime que faire gassho est indispensable à sa vie de foi, même s’il ne le pratique que dans un dojo.
Gratuit
Le geste rituel n’est pas matériellement rentable il peut même être considéré par certains comme une perte de temps. Pourquoi se balancer de gauche et de droite au début de zazen alors qu'on a une sensation concrète de verticalité sitôt qu'on est assis ?
Le geste rituel n’a sa raison d’être ni dans l’utilité, ni dans la rentabilité, mais dans la gratuité de ce que signifie sa mise en acte. Faire une procession d’entrée amplifie gratuitement un déplacement et lui donne une signification qui dépasse le fait de se rendre d’un endroit à un autre. Faire une procession pour se diriger vers un l’autel : il est le signe de la participation des fidèles à l’action commune ici et maintenant.
Symbolique
On sait que le terme qui signifie symbole implique toujours le rassemblement de deux moitiés.
Un geste utilitaire a sa signification en lui-même : on allume une bougie parce qu’il y a une panne d’électricité. Un geste symbolique a sa signification ailleurs qu’en lui-même : on allume les bougies sur l'autel qui est très bien éclairé pour évoquer la vraie lumière qui est en nous pendant zazen.
Tel est le travail qu’accomplit le symbole : il met en jeu une partie du corps (la vue, l’ouïe, les gestes...) pour rassembler (c’est le sens du verbe grec sumbolon) l’esprit de l’homme (sa foi) et ce qui échappe à ses sens.
Conséquences pratiques
Le geste rituel n’est donc pas un geste spontané comme ceux que l’on a constamment dans la vie courante. En tant qu’il est symbolique, il est chargé de sens. Il faut lui laisser le temps d’être signe, c’est-à-dire de faire un travail de rassemblement en suscitant chez ceux qui le font ou le voient faire, le sens qu’il porte. Il n’a pas à être cérémonieux, mais une certaine lenteur lui va bien et lui est nécessaire, à condition qu’elle ne soit ni maniérée ni onctueuse. Si le geste est trop empressé, il élimine la distance indispensable pour que son sens advienne.
Le geste rituel fonctionne toujours au second degré. Son but n’est pas dans l’efficacité immédiate. Outre qu’il doit prendre son temps, il doit être beau : simple, mais noble.
Mais qu’est-ce que la beauté d’un geste ? On le sait chez le danseur, chez l’instrumentiste, chez la mère qui berce son enfant... Mais le prêtre, le lecteur et l’animateur de chants ne sont rien de tout cela !
Pourrait-on dire que ce qui définit le mieux la beauté d’un geste rituel, c’est la justesse et l’harmonie ? N'est-ce pas ce que fait un prêtre zen (ou un bonze) qui lève les mains en gassho, ou qui fait une prosternation, ne manifeste-t-il pas le geste harmonieux, fait avec calme (sans tension ni précipitation), dans une bonne posture de tout le corps et avec une bonne position des bras et des mains ?
Le geste rituel réclame que ceux qui l'accomplissent le contrôlent régulièrement.