Intéressant!
Alors, j'ai bien lu ta réponse, Romain, et je me demande toujours si tu veux entendre une réponse, ou si tu veux une réponse qui valide tes affirmations.
Alors excuse mon indigence philosophique, mais si je pense que l'intellect est un organe utile, je n'essaie pas d'en abuser, je pense déjà beaucoup comme ça, et pas grave si on me le reproche, notre catégorie le subit déjà assez, quoique je pense faire assez exception par rapport à la norme des moines zen.
tu reprochez au zazen un autocentrement lié à donner de l'importance à ce qui est en soi.
Alors simplement fais une expérience.
Assied toi droit, les yeux ouverts le regard posé au sol.
et simplement ne fais rien.
Rien de plus que de devenir attentif à ce qui est.
alors, si tout es tranquille, il n'y a effectivement pas grand chose d'autre que ce corps, cet esprit.
Chez nous, on fait particulièrement attention à ce qui se passe dans notre respiration.
Car elle lie conscient et inconscient : c'est la seule fonction physiologique qui fonctionne soit avec soit sans la volonté.
Tu verras que si on a, en l'absence de tout objet de prière, de concentration, autre que le fait d'être assis, que ce corps, cet esprit, on devient de plus en plus conscient de ce qu'on sent, de ce qu'on pense, de ce qu'on perçoit, de ce qu'on éprouve émotionellement, etc etc......on devient plus conscient de c qu'on est.
Mais cependant, cela n'empèche pas de sentir, la mouche qui se pose sur ta joue, le bruit de la voiture qui passe, l'aboiement du chien, le voisin qui allume la télé, l'odeur de cuisine qui vient d'ailleurs, etc etc....
Donc cet intérieur, n'est pas séparé de l'extérieur, en fait il n'est pas plus important que ce qui nous est autre car il n'y a à la fin qu'une chose qui est là : ce qui relie intérieur et extérieur. Car qui perçoit quoi??
On devient donc plus conscient de ce qui est, et on en est partie prenante. Ce qu'on est n'est ni plus ni moins important que ce qui se passe autour de nous.
Il n'y a pas de centre, en fait.
Mais essaie, mes mots sont bien vains pour faire comprendre, ils ne sont que des mots.
Tu dis que la pensée orientale essaie de transcender la pensée cartésienne en niant la dualité.
Diable! Déjà, tout ça fût formulé bien avant Descartes, et il ne s'agit nullement de nier la dualité, c'est une vision profondément source d'erreur que celle-ci!
Il s'agit d'aller au-delà de la dualité, de transcender la dualité!
Cela n'empèche pas la dualité d'exister, mais ce n'est plus elle qui gouverne la pensée.
"Vous devez penser du tréfond de la non-pensée" disait Dogen.
"qu'est-ce que penser du tréfond de la non-pensée?"
C'est Hishiryo, "au delà de la pensée et de la non pensée."
Ensuite tu me dis que tu ne peux convaincre un pratiquant qui pense que l'abandon de la rationalité est nécessaire.
Déjà, il faudrait déjà que tu saches ce que je pense vraiment!
Car je ne pense pas que l'abandon de la rationalité soit nécessaire.
par contre je pense que la rationalité n'est qu'une façon de fonctionner de l'esprit humain parmi d'autres, et qu'elle n'est pas à rejeter, mais qu'elle n'a pas à dicter sa seule et unique loi. Il y a aussi ce qu'on sent, dans son corps, après c'est un équilibre à trouver entre chaque fonctions.
Donc tu en arrives à dire que le bouddhisme est incompatible avec les éléments de la culture occidentale (christianisme y compris).
Soit.
donc si j'en déduis bien, le christianisme est soluble dans le bouddhisme, mais la réciproque n'est pas vraie.
Dommage!
"du point de vue chrétien, le seul fait que tu puisses atteindre un absolu, un état de Bouddha, que tu suives un autre guide que Jésus-Christ amène une incompatibilité."
Je crois que là est le point de divergence entre nous.
Car moi je pense que quelqu'un qui suit l'enseignement du Christ, peut parfaitement comprendre l'expérience d'un pratiquant de la voie du Bouddha. Ce sera juste par des moyens et des techniques différentes, des termes différents nommant ce qui au final est la même chose : quelque chose qui amène a plus de bonheur inconditionné.
Mais en le disant ainsi, ouvre tu la porte du dialogue, alors que tu déclares déjà que c'est incompatible, ce qui est le fond de ton discours depuis le départ? Je m'en pose la question, simplement.
J'ai redécouvert le Christ gràce au bouddhisme, et j'en suis fort content. Et je n'ai pas le sentiment qu'il voulait créer un truc spécial appelé Christianisme, ni qu'on croie en lui. Mais être le vecteur d'une pratique, d'une façon d'être au monde, reprenant les éléments de ce qui existait alors, mais de façon plus fraîche, plus proche des gens et de leur vie.
Après tu parles de "renoncer à l'individu que Dieu a voulu" : il est clair que dans le bouddhisme, aucun principe divin n' a un désir sur le monde.
"Si tu n'as pas d'ego, la notion de Dieu personnel n'a plus de sens" : certes, mais Dieu est-il mû par des contigences personnelles?? Je crois que Dieu, c'est la représentation de ce qui nous est plus vaste, au-delà de nous, au-delà de ce qui est personnel et limité en nous. Alors oui, la notion d'un Dieu personnel n'a pas de sens, je crois d'ailleurs que l'homme a créé Dieu pour justement échapper au danger de sa toute puissance!
"Comme le fait d'atteindre quelque chose d'essentiel par tes propres moyens, est contraire à la foi chrétienne".
Certes, mais t'inquiète, ce point fait aussi divergence chez les bouddhistes entre eux : en japonais c'est la différence entre Joriki, la foi par soi-même, et Tariki, la foi en l'Autre , en une instance extérieure, qu'on trouve par exemple dans le bouddhisme de la Terre Pure.
Alors reste la question : "qui" atteint quelque chose d'essentiel, et comment, s'il le fait par des moyens qui lui viennent d'un autre, n'est-il alors pas exempt d'effort (cf le début de ta réponse)??
Pour ma part, les deux sont valables : passer par ce qui est Autre, finit par renvoyer à soi. Passer par ce qui est soi, finit par renvoyer à ce qui nous est Autre.
Pour cela dans le zen et le bouddhisme, on a les voeux du bodhissatva : on fait voeu d'aider les êtres qui souffrent de de rester dans le monde des illusions même si l'on s'éveille, pour éveiller et faire passer avant soi les autres.
Maintenant, je n'ai pas de problème de cohabitation avec le christianisme, mais j'ai l'impression que ton apprche est très intellectuelle, et je me demande où est le Coeur, dans tout ça?
Pour moi, ce qui compte dans toute pratique, c'est que ça aide à vivre, mieux, avec les autres, qu'on souffre moins et devienne plus heureux, dans l'ordre ou le désordre.
Après, peu importe le moyen, pour peu qu'il convienne à la personne.
Bien sûr, il ne s'agit pas de faire un fourre tout syncrétique : chaque voie a son histoire et ses formes.
Mais je ne crois pas que cela soit pour autant une raison pour qu'elles ne se rencontrent pas.
Pour ma part, je ne suis pas sûr qu'ultimement la prière, ou encore mieux, la contemplation chrétienne, soient foncièrement différentes de la méditation assise.
Certains orthodoxes du zen diront que le zen chrétien c'est pas du vrai zen.
Après, je m'en fous un peu.
Deshimaru, quand il était jeune, a eu une instruction religieuse chrétienne. Ensuite il est allé vers le zen, sachant que sa mère était très "Terre Pure". Donc je pense que quand il disait qu'en zazen, on était semblalbe à Dieu ou Bouddha, ça ne venait pas de n'importe quoi ni d'un mic mac syncrétique.
Mais j'ai pu voir combien ne supportent pas d'entendre qu'assis face au mur ils ne sont pas différents de Bouddha. Ils préfèrent vivre dans la dualité, dans l'espoir que ça arrivera plus tard. Pour ne surtout pas changer leur façon de vivre, et continuer à s'asseoir, sans déranger ce truc-là en eux.
Soit. Mais je pense pour le coup que là est la dualité, et que cette façon de voir est totalement à côté de la plaque du zen, du dharma du Bouddha, quitte à passer pour fanatique en disant cela.
Car si on vit sans cesse en croyant que c'est pour après, ailleurs, alors c'est se mettre un carotte devant le nez pour courir.
Alors que c'est mieux de la manger!
Et moi, je digère mieux quand je mange sans courir!