La démarche Scientifique et la démarche Religieuse sont-elles conciliables ?
Après plusieurs siècles de règne, le déclin de la Scolastique commença avec la révolution Copernicienne et s'acheva au siècle des Lumières. C'est l'avènement de la Science qui conduisit l'homme à penser qu'il est impossible d'acquérir une connaissance fiable en dehors de l'expérience sensible. A partir de cet instant, on renonça de plus en plus à comprendre le monde par le seul recours à la logique de la pensée. Le mouvement était lancé pour faire s'opposer la Religion et la Science au profit triomphal apparent de cette dernière à tel point que la Religion est considérée aujourd'hui, par certains, comme une forme archaïque de connaissance qui est vouée à disparaître.
On peut considérer qu'il y a eu trois grands bouleversements scientifiques qui ont fait tomber l'homme du piédestal sur lequel la Religion l'avait mis.
La première, d'ordre cosmologique, due à Copernic, considère que l'homme n'est plus au centre de la création puisque la planète sur laquelle il réside n'est qu'un satellite du Soleil, lui-même n'étant qu'une petite étoile parmi des milliards d'autres.
La deuxième est d'ordre biologique. La théorie de l'évolution naturelle de Darwin ne fait plus de l'homme le sommet de la création, ni un Etre d'essence Divine, mais un simple animal évolué.
Enfin, la dernière concerne la psychologie Freudienne, qui montre que l'homme n'est plus le maître chez lui puisque il est, en grande partie, déterminé par son inconscient[1].
Face à ces découvertes scientifiques incontestables, face à l'abandon des raisonnements Métaphysiques jugés non fiables, la Religion peut-elle encore se maintenir et sa démarche est-elle conciliable avec celle de la Science ?
Le propos de cet article est de répondre oui à cette question en montrant que la Scolastique n'est pas morte et que la connaissance qu'elle propose n'est pas vaine. La Scolastique reste d'un formidable Secours pour l'Homme, bien plus que celui de la Science, car elle traite de l'Origine même de la Vie. Ce moyen de connaissance se fonde sur la pensée et la logique mais il n'en repose pas moins sur une forme d'Expérience, que l'on qualifiera d'intérieure et subjective, qui résulte de l'observation de la Nature.
1) La métaphysique est-elle vaine ?
La raison du déclin de la Scolastique est le courant Empiriste d'origine anglo-saxon qui débuta au XVIIe s. et qui
conduira au matérialisme. Pour les philosophes du siècle des Lumières, la métaphysique est vaine. Kant par exemple,dans son livre, "Critique de la Raison pure", affirme que "les concepts sans matière[2] sont vides" et qu'il est seul légitime de limiter nos concepts au monde sensible. Il est, en effet, indéniable que les concepts tels que ceux de Dieu et de l'âme par exemple, ne font pas partie du monde sensible.
Hume, qui inspira Kant, alla encore plus loin en remettant en cause le principe de causalité, ce qui conduit à condamner toute métaphysique qui repose sur les notions de substance et de cause.
Kant et Hume reconnaissent bien sûr la validité des mathématiques et donc des raisonnements analytiques. Ils reconnaissent la possibilité de raisonner sur des entités abstraites indépendantes du champ de l'expérience. Mais ils considèrent que ces raisonnements ne peuvent conduire en aucune manière à percevoir ou comprendre le réel et sont donc sans liens avec les questions de faits et d'existence. La critique par Kant de la preuve ontologique de l'existence de Dieu explique bien ce point de vue. Pour Kant, l'idée de perfection implique bien l'existence mais uniquement "l'idée" de l'existence et non l'existence en soi[3].
La question de concepts qui ne reposent pas sur des éléments sensibles et que l'on pose comme réels est effectivement un problème. Comment puis-je disserter sur Dieu, par exemple, si je n'en fais pas l'expérience sensible directe ? Ou, tout du moins, comment puis-je m'assurer que mes raisonnements concordent avec la réalité ? Tout cela n'est-il pas que sophisme ?
La réponse à ces questions passe par une analyse de la connaissance sur deux plans différents qui sont la connaissance objective et subjective. Ces deux voies de connaissance ne sont pas opposées mais complémentaires. Il nous faut également, pour répondre à ces questions, traiter des formes de raisonnement et réintroduire le raisonnement analogique ou métaphorique, oublié par la Science, mais qui était à la base de la Scolastique.
2) Les deux mondes :
objectif et subjectif
Par définition, ce qui est objectif est ce qui dépend uniquement de l'objet, alors que ce qui est subjectif dépend du
sujet. La Science, par essence, ne manipule que des concepts objectifs. Les expériences sont conduites pour être
indépendantes du sujet qui les réalise et pour cela des instruments de mesures sont utilisés. Ainsi, la même expérience reproduite par deux scientifiques aux deux extrémités de la planète, conduit au même résultat.
A l'opposé ou en complémentarité du monde objectif, se situe un monde subjectif qui est le résultat des Expériences individuelles de chaque individu. Ces Expériences subjectives forment une palette très large et très riche puisqu'ellesincluent nos désirs, nos sentiments, nos pensées, bref, tout ce que peut percevoir la conscience d'un individu.
Les perceptions subjectives, pour un individu sain, ne sont pas des illusions. Il n'est donc pas question de les mettre en doute. Si l'on veut d'ailleurs réfléchir à la manière dont nous prenons la majorité des décisions qui orientent notre vie, nous sommes bien obligés de reconnaître que celles-ci sont le résultat de nos impressions subjectives et que ces décisions n'ont rien d'objectif. La science objective n'est d'ailleurs ici d'aucun secours.
Certes, la raison intervient dans mes prises de décision pour d'une certaine manière "objectiver" mes choix. Mais il n'en reste pas moins vrai que ce qui alimente cette raison est mes impressions subjectives.
Une question se pose : ces impressions subjectives peuvent-elles m'apporter une connaissance autre que celle de moimême ?
Peuvent-elles, tout en restant subjectives, être considérées comme vraies et représentatives d'une réalité extérieure non perceptible ?
Si la réponse à cette question est oui, cela signifie qu'une approche de la réalité, différente de celle objective scientifique, est possible.
Pour clarifier ce que nous venons de dire, il nous faut traiter de ce qu'on appelle les Signes.
De manière générale, un Signe est un phénomène sensible destiné à manifester un phénomène qui ne l’est pas. Interpréter un Signe est donc découvrir le phénomène non sensible dévoilé par le Signe. On peut prendre un exemple très simple : nos états psychologiques ne sont connus des autres sujets conscients que par l'intermédiaire de leurs Signes extérieurs. Les Signes que montre une personne sont parfois (souvent) plus révélateurs que les propos qu'elle tient. Un adulte verra très bien, par exemple, si un de ses enfants est fatigué, même si celui-ci lui dit le contraire.
Les Signes en eux-mêmes sont objectifs. Par contre l'interprétation que nous en faisons est subjective, d'autant plus que toutes les personnes ne remarquent pas les Signes qui sont devant leurs yeux.
Si je connais bien une personne, je suis à même d'interpréter avec justesse ses états intérieurs à partir des Signes,
parfois à peine perceptibles, qu'elle me transmet. C'est d'autant plus vrai que la personne se trouve dans une situation dont j'ai déjà le vécu.
Si je suis capable d'interpréter les états psychologiques des gens que je rencontre à partir des Signes extérieurs qu'ils manifestent, puis-je également interpréter la Nature à partir de la Vision que celle-ci me donne d'Elle ? Le raisonnement qui permet cette connaissance est le raisonnement analogique.
3) Les modes de raisonnements :
Le raisonnement fait appel à la logique qui est "la science ayant pour objet de déterminer parmi les opérations
intellectuelles tendant à la connaissance du vrai lesquelles sont valides et lesquelles sont invalides".
Il existe trois types de raisonnements distingués par les logiciens qui sont la déduction, l'induction et l'analogie.
Le mode de raisonnement, considéré par certains comme le plus rigoureux et le seul valable, est la déduction.
La déduction est le raisonnement qui va des principes à la conséquence. D'une ou plusieurs propositions prises pour prémisses, on déduit une nouvelle proposition qui est la conséquence nécessaire, en vertu de règles logiques.
Le deuxième mode de raisonnement qui est l'induction consiste à énoncer des lois à partir de faits. C'est le raisonnement expérimental par excellence. L'induction est dite amplifiante car elle généralise. Ainsi "lorsqu'on a éprouvé sur beaucoup de mers que l'eau est salée et sur beaucoup de rivières que l'eau est douce, on conclut par induction que l'eau de mer est salée et que celle des rivières est douce" (exemple tiré de la logique de Port-Royal).
Le dernier type de raisonnement, beaucoup moins étudié par les logiciens car considéré comme peu fiable, est l'analogie. L'analogie s'apparente d'ailleurs plus à une intuition qu’à un raisonnement car si elle nous donne bien des relations, ces relations sont directes (elle n'utilise pas les règles de la logique et n'est donc pas discursive). La métaphore est une forme d'analogie qui est largement employée dans les Textes Sacrés.
On peut résumer la méthode analogique employée en Métaphysique par la phrase suivante : "Tout est dans Tout".
Cette sentence nous explique qu'on retrouve dans chaque partie de la Création[4] le Principe ou la Loi qui régit
l'ensemble de cette Création. En d'autre terme, il existe une Loi unique qui régit la Création et cette Loi peut se
découvrir par l'observation de chaque partie de cette dernière.
Le raisonnement analogique ne s'enseigne pas, il se pratique. C'est une des raisons pour laquelle il n'est pas considéré comme fiable. Il fait partie du domaine du Vécu plutôt que celui du connu.
Par méditations et réflexions personnelles, celui qui veut bien se prêter au jeu d'observer la nature suivant cette Loi, progresse peu à peu vers une vision Unitaire et globale de celle-ci.
4) La démarche Scolastique
La démarche Scolastique est entièrement décrite dans la pensée Augustinienne suivante : "Crois et tu comprendras ; la Foi précède, l'Intelligence suit".
Cette sentence sera, à tout le moins, critiquée par le Scientifique qui ne verra là qu'une auto persuasion ou un raisonnement circulaire. En effet, si le propos est de démontrer une croyance, il n'est pas possible de partir d'elle ! D'un point de vue scientifique, c'est tout à fait vrai. Mais d'un point de vue Métaphysique c'est faux, et nous sommes ici au coeur du problème. Scientifiquement c'est vrai, parce que la science cherche à objectiver sa démonstration.
Métaphysiquement, c'est faux, car cette connaissance est subjective et ne peut donc partir que du sujet.
La Métaphysique n'est pas et n'a jamais été de tenir des raisonnements purement intellectuels. Sur quoi s'appuieraientils d'ailleurs puisque les concepts qu'elle manipule sont non sensibles ? Ce ne serait pas de la Métaphysique mais sophisme et dogmatisme.
La démarche de la Scolastique consiste à développer des abstractions Métaphysiques dont le but est de découvrir la nature de Dieu et de sa Création à partir de la logique de la pensée et de nos expériences intérieures. Celles-ci
résultent de la Foi, ou Emotion Métaphysique, qui s'appuie sur l'observation de la Nature selon la loi d'analogie, pour peu que l'Homme Veuille bien voir les Signes que celle-ci a mis devant ses yeux.
La démarche Scolastique ne s'enseigne donc pas. C'est une Voie à suivre, un cheminement personnel qui résulte d'un Vécu. C'est à chacun d'entre nous de gravir, dans son Etre profond, le parcours qu'ont fait ceux qui nous ont précédé dans cette démarche, pour finalement y découvrir la même chose qu'eux.
La démarche universelle du Vécu est : essayez et vous verrez bien. Et ne dit-on pas : Essayer c'est Adopter ?
5) Conclusion
La Science a tellement envahi notre monde et ses succès sont tellement flagrants que la démarche scientifique apparaît aujourd'hui la seule possible. La démarche de la Scolastique est différente de la démarche scientifique. Son propos n'a jamais été de raisonner objectivement comme la Science et à l'aube de ce XXIe s., il est nécessaire de la réhabiliter.
On peut réfléchir aux causes qui ont donné naissance à cette opposition entre la Science et la Religion et à l'abandon de la Scolastique dont la méthode n'est plus comprise. On peut citer au moins deux raisons :
- La Religion n'a pas su s'adapter à la révolution scientifique. Au lieu de défendre uniquement le domaine de connaissance qui est le sien, elle s'est engagée dans un combat avec la Science sur son propre terrain. Ce combat, qui était perdu d'avance, a conduit à la discréditer.
- Contrairement à la science qui s'enseigne, la Scolastique ne s'enseigne pas. Par conséquent, l'homme qui n'a pas fait le parcours qu'elle propose ne la comprend pas. Et celui-là, dans bien des cas, la nie (Ô Vanité !).
Nous l'affirmons : les démarches scientifiques et religieuses ne sont pas inconciliables. Elles fournissent deux champs de connaissance complémentaires pour l'Homme.
Si ces deux démarches ne sont pas inconciliables mais complémentaires, n'est-il pas envisageable qu'un jour elles
s'unissent ?
[1] Contrairement à l'opinion générale, il n'y a aucune contradiction entre ce que démontre la science et ce qu'a toujours affirmé la Religion. L'homme est bien au centre de l'Univers, il est d'essence Divine et peut devenir Libre. Nous reprendrons ultérieurement ces points un par un.
[2] Kant entend par Matière, les données de l'expérience, ce qui correspond à la sensation.
[3] La preuve ontologique a été inventée au XIe siècle par Saint Anselme et reprise plus tard par Descartes, puis
Malebranche, Leibniz, Spinoza, Hegel. Cette preuve est une preuve a priori, où l'on prétend déduire analytiquement l'existence de Dieu de son essence même. Elle s'énonce de la manière suivante : "Ce qui est tel que rien de plus grand ne peut être conçu, cela ne peut exister seulement dans l'intelligence. En effet, si cela existait seulement dans l'intelligence, on pourrait le concevoir comme étant aussi dans la réalité : ce qui serait supérieur. Il existe donc quelque chose tel qu'on ne peut rien concevoir de plus grand, et ce à la fois dans l'intelligence et dans la réalité."
[4] On entend ici par Création, tout ce qui est Naturel, plutôt que ce qui est créé par l'Homme.