Kaïkan a écrit:
Kalama Sutta
Petit extrait :
- (1.6) S'étant assis ainsi à l'écart sur un côté, ils s'adressèrent au Bienheureux et dirent: "O vénérable Gotama, il y a des religieux et des brahmanes qui arrivent à Kesaputta. Ils exposent et exaltent seulement leur propre doctrine, mais ils condamnent et méprisent les doctrines des autres. Puis d'autres religieux et brahmanes arrivent aussi à Kesaputta. Eux aussi exposent et exaltent leur propre doctrine, et ils méprisent, critiquent et brisent les doctrines des autres. O Vénérable, il y a un doute, il y a une perplexité chez nous à propos de ces diverses opinions religieuses. Parmi ces religieux et ces brahmanes, qui dit la vérité et qui des mensonges?"
- (1.7) Le Bienheureux s'adressa aux Kalamas et dit: Il est juste pour vous, ô Kalamas, d'avoir un doute et d'être dans la perplexité. Car le doute est né chez vous à propos d'une matière qui est douteuse.
- (1.8 ) Venez, ô Kalamas, ne vous laissez pas guider par des rapports, ni par la tradition religieuse, ni par ce que vous avez entendu dire. Ne vous laissez par guider par l'autorité des textes religieux, ni par la simple logique ou les allégations, ni par les apparences, ni par la spéculation sur des opinions, ni par des vraisemblances probables, ni par la pensée que "ce religieux est notre maître spirituel".
- (1.9) Cependant, ô Kalamas, lorsque vous savez vous-mêmes que certaines choses sont défavorables, que telles choses blâmables sont condamnées par les sages et que, lorsqu'on les met en pratique, ces choses conduisent au mal et au malheur, abandonnez-les.
C'est pourquoi il ne s'agit pas tant de liberté de penser que d'appliquer partout et toujours la méthode scientifique, ce que Karl Popper appeller la "réfutabilité".
Je vous mets ici la définition de Wikipédia:
La réfutabilité (aussi appelée à ses débuts par le recours d'un faux-ami falsifiabilité) est un concept important de l'épistémologie. Une affirmation est dite réfutable s'il est possible de consigner une observation ou de mener une expérience qui, si elle était positive, entrerait en contradiction avec cette affirmation.
La réfutation résout à la fois le problème de la démarcation et celui de la validité :
Une proposition réfutable est réputée être une hypothèse scientifique. Si elle est réfutée elle cesse d'être valide.
En revanche, une proposition non réfutable (irréfutable au sens logique) est catégorisée comme méta-physique (ce qui ne signifie pas qu'elle est illégitime).
Par exemple, l'affirmation « toutes les corneilles sont noires » pourrait être réfutée en observant une corneille blanche.
Par exemple, « tous les humains sont mortels » semble avant analyse non réfutable, et donc non scientifique, parce que constater l'immortalité d'un humain, seule observation semblant susceptible de la réfuter, est une expérience formellement indécidable. En effet, il faudrait attendre un temps infini pour conclure (problème de l'arrêt). Par contre, sa négation : « il existe un humain immortel » est réfuté, aucun humain observé n'a vécu plus de 130 ans. Puisque la fausseté de cette proposition implique la véracité de « tous les humains sont mortels » alors cette proposition est scientifique ; par induction, nous postulons que cette proposition est vraie pour les humains actuellement en vie.
Par contre, la proposition : « Il existe une planète xéna où vivent des extraterrestres à douze orteils qui viennent parfois sur la terre manger des humains. » est non réfutable. En effet, il est techniquement impossible d’examiner toutes les planètes de l’univers pour conclure à l’affirmative ou à la négative. De même, il existe des cas de disparations inexpliquées d’individus qui pourraient très bien êtres interprétés comme des enlèvements par des extraterrestres.
Devant une proposition non réfutable il existe trois attitudes possibles : attribuer le statut non scientifique (métaphysique) à la proposition, forcer sa valeur de vérité à la fausseté ou bien considérer sa valeur de vérité comme arbitrairement vraie ou fausse. Théologiquement, la première position est l’agnosticisme, la seconde l’athéisme, la dernière le scepticisme.
Le contexte, interprété de façon plaisante, nous montre le Bouddha arrivant en délégation dans un village. Il est connu, sa réputation le précède, et c'est un personnage considérable autant par sa réputation que son lignage. Les édiles du village viennent en délégation l'accueillir, c'est un minimum de politesse, mais ne peuvent s'empêcher de faire de l'ironie en lui faisant remarquer qu'il n'est pas le premier renonçant mendiant à se produire chez eux, et que le discours obligé de chacun d'eux est toujours "C'est moi qui ai raison, tous les autres vous racontent des âneries". Ils pourraient dire tout de go, "Et vous, vous allez nous raconter quoi, encore?" Mais ce ne serait pas poli.
La réponse du Bouddha est donc inattendue, elle contourne le problème en y répondant de façon plus générale. Elle provient de quelqu'un qui est sûr de ce qu'il avance pour l'avoir expérimenté en première ligne. On observe ici, accessoirement, que la sincérité implique toujours l'acceptation du principe de réfutation. Sa réponse non plus ne manque pas d'un certain humour car, s'il ne s'épargne pas
a priori, il met d'emblée en difficulté tous les dogmatiques désireux d'entraîner l'adhésion immédiate et inconditionnelle afin de se rassurer eux-mêmes.
Nous pouvons en effet observer dans notre propre psyché le phénomène suivant: lorsque, convaincus du bien fondé d'une option, nous en faisons l'apologie, les réticences voire opposition à notre discours tendent à nous ébranler. Car ce qui rassure, c'est que les autres soient d'accord avec nous. C'est pour cette raison qu'une connerie manifeste peut être partagée par tant de gens, tant qu'en tant que connerie elle n'est pas manifeste à ces gens, généralement parce qu'elle correspond à un désir avoué ou pas.
Exemple : "Les immigrés volent le boulot aux Français": il est plus facile d'accepter cela que de rechercher dans une idéologie la source réelle, mais bien plus complexe, de nos malheurs. De même "Les Juifs sont responsables de tous les malheurs du monde" procède du même phénomène. Quand on fonctionne sur ce mode, même de bons catholiques ou protestants ("bons" au sens où ils vont à l'église ou au temple tous les dimanches) seront décrétés "juifs" parce que financiers (les financiers étant tous juifs comme chacun sait...
). De sorte que l'attitude juste consiste à remettre en question même les choses que nous considérons les meilleures. En effet, cette remise en question, si elle est bien menée, nous amènera nécessairement à affermir notre confiance dans le cas où nos options sont justes, à y renoncer si on doit se rendre compte qu'elles ne le sont pas, et, dans la majorité des cas intermédiaires, à modifier, transformer, améliorer notre point de vue pour le rendre plus conforme à la réalité pratique.