Kaïkan a écrit:
"Le Zen est une transmission spéciale en dehors des textes,
indépendante du mot et de la lettre,
montrant directement le cœur de l'être : c'est saisir sa propre nature et devenir Bouddha."
Extrait du Sutra du Lanka:
Chapitre VI
L'Intelligence transcendantale
Alors Mahâmati dit: Je vous en prie, expliquez-nous, ô Béni du Ciel, ce qui constitue l'Intelligence transcendantale?
Le Béni du Ciel répondit: l'Intelligence transcendantale est l'état intérieur d'auto-réalisation de la Noble Sagesse. Elle est réalisée de façon soudaine et intuitive lorsqu'a lieu le «retournement» au plus profond de la conscience; elle n'entre ni ne sort -- elle est comme la lune vue dans l'eau. L'Intelligence transcendantale n'est pas sujette à naissance ni à destruction; elle n'a rien à voir avec la combinaison ni avec la concordance; elle est dépourvue d'attachement et d'accumulation; elle transcende tous les concepts dualistes.
Lorsqu'on considère l'Intelligence transcendantale, il faut garder quatre choses à l'esprit: les mots, les significations, les enseignements et la Noble Sagesse (
Arya-prajñâ).
Les mots servent à exprimer les significations mais ils dépendent de la discrimination et de la mémoire pour leur cause, et de l'emploi de sons et lettres par lesquels un transfert mutuel de sens est possible. Les mots ne sont que des symboles qui peuvent, et ne peuvent pas, exprimer clairement et pleinement le sens voulu; et, de plus, on peut comprendre les mots de façon très différente de ce qu'entendait dire qui les a prononcés. Les mots ne sont ni différents ni non-différents du sens et ce dernier se trouve dans la même relation par rapport à eux.
Si le sens était différent des mots, il ne pourrait pas être rendu manifeste au moyen de mots; mais le sens est illuminé par les mots de même que les choses le sont par une lampe. Les mots sont juste comme un homme transportant une lampe afin de regarder sa propriété, ce qui lui permet de dire: ceci est ma propriété. De même, au moyen des mots et du discours qui prennent leur origine dans la discrimination, le Bodhisattva peut pénétrer le sens des enseignements des Tathagatas et par le sens il peut entrer dans l'état exalté d'auto-réalisation de la Noble Sagesse, qui est, en lui-même, libre de la discrimination entre les mots.
Mais si un homme s'attache au sens littéral des mots et s'accroche solidement à l'illusion que les mots et le sens sont en accord, en particulier pour des choses comme le Nirvâna, qui est non-né et immortel, ou selon les distinctions des Véhicules, des cinq Dharmas, des trois natures propres, il échouera alors à comprendre le vrai sens et s'emmêlera dans les assertions et les réfutations. Tout comme les variétés d'objets qu'on voit et qu'on discrimine dans les rêves et les visions, c'est erronément que l'on discrimine les idées et les postulats et l'erreur va se multipliant.
Les ignorants et les simples d'esprit déclarent que le sens n'est pas différent des mots, que tels que sont les mots, ainsi est le sens. Ils pensent que comme le sens n'a pas de corps propre, il ne peut donc pas être différent des mots et c'est pour cela qu'ils déclarent que le sens est identique aux mots. En ceci ils sont ignorants de la nature des mots, qui sont sujets à la naissance et à la mort, ce qui n'est pas le cas du sens;
les mots dépendent des lettres mais pas le sens; le sens est séparé de l'existence et de la non-existence, il n'a pas de substrat, il est non-né.
Les Tathagatas n'enseignent pas un Dharma qui dépend des lettres. Quiconque enseigne une doctrine qui dépendrait des lettres et des mots n'est qu'un bavard, parce que la Vérité est au-delà des lettres, des mots et des livres. Ceci ne signifie pas que lettres et livres ne disent jamais ce qui est en conformité avec le sens et la vérité, mais que mots et livres sont dépendants des discriminations, alors que le sens et la vérité ne sont pas; qui plus est, mots et livres sont sujets à l'interprétation des esprits individuels, cependant que le sens et la vérité ne le sont pas.
Mais si la Vérité n'est pas exprimée dans les mots et les livres, les écritures qui contiennent le sens de la Vérité disparaîtraient, et sans les écritures il n'y aurait plus de disciples ni de maîtres, ni de Bodhisattvas ni de Bouddhas, et il n'y aurait plus rien à enseigner. Mais il ne faut pas s'attacher aux mots des écritures parce que même les textes canoniques dévient parfois de leur cours direct à cause du fonctionnement imparfaits des esprits sensibles.
Moi-même et d'autres Tathagatas donnons des discours religieux en réponse aux divers besoins et croyances de toutes les sortes d'êtres, afin de les libérer de la dépendance à la fonction pensante du système mental, mais ils ne sont pas donnés pour prendre la place de l'auto-réalisation de la Noble Sagesse. Lorsqu'on admet qu'il n'est rien au monde qui ne soit une vue de l'esprit lui-même, toutes les discriminations dualistes sont écartées, la vérité de l'absence d'image est comprise, et on constate qu'elle est en conformité avec le sens plutôt qu'avec les mots et les lettres.
Les ignorants et les simples d'esprit étant fascinés par leur imaginations personnelles et leurs raisonnements erronés, ils continuent de danser et de sauter partout, mais sont incapables de comprendre le discours en mots sur la vérité de l'auto-réalisation, et à plus forte raison de comprendre la Vérité elle-même. Agrippés au monde extérieur,
ils s'accrochent à l'étude de livres qui ne sont jamais qu'un moyen, et ne savent pas vraiment comment s'assurer de la vérité de l'auto-réalisation, qui est la Vérité non défigurée par les quatre propositions. L'auto-réalisation est un état exalté de réalisation intérieure qui transcende toute pensée dualiste et qui est au-dessus du système mental avec sa logique, son raisonnement, ses théories, et ses illustrations. Les Tathagatas font des discours aux ignorants, mais soutiennent les Bodhisattvas lorsqu'ils voient l'auto-réalisation de la Noble Sagesse.
Laissons donc chaque disciple faire bien attention à ne pas s'attacher aux mots comme étant en parfaite conformité avec le sens, parce que la Vérité n'est pas dans les lettres. Lorsqu'un homme pointe vers quelque chose ou quelqu'un du bout de son doigt, on pourrait confondre le bout du doigt avec la chose vers laquelle on pointe; de la même manière, les ignorants et les simples d'esprit, comme des enfants, sont incapables, même au jour de leur mort, d'abandonner l'idée que le doigt que sont les mots, soit le sens lui-même. Ils ne peuvent réaliser la Réalité ultime à cause de leur attachement résolu à des mots qui ne se voulaient rien d'autre qu'un doigt pointé. Les mots et leur discrimination nous lient à la triste ronde des naissances dans le monde de naissance-et-mort; le sens reste seul et est un guide vers le Nirvâna. On arrive au sens grâce à beaucoup d'étude, et on arrive à beaucoup de connaissances en devenant familiers avec le sens et pas avec les mots; c'est pourquoi les chercheurs de vérité s'approchent des sages avec révérence, et évitent ceux qui se braquent sur des mots particuliers.