La tarte à la crème de l'ego y revenait de plus belle.
En fait, la conversation a commencé sur le problème du karma. Je mentionnais le fait problématique que la théorie du karma est trop souvent une incitation (en particulier dans des pays comme le Tibet ou la Thaïlande) à dénigrer les personnes qui en bavent d'une manière ou d'une autre, au prétexte que c'est leur karma et que c'est donc "de leur faute".
En passant, je ne saurais trop dénoncer ce genre de discours et d'attitude. Quand bien même cela serait, en tirer justification pour ne rien faire ou pire, serait se créer à soi-même un karma particulièrement néfaste.
Mais j'en reviens à l'ego. J'observe que, lorsqu'il s'agit de détruire l'ego, c'est pratiquement toujours de celui des autres qu'il est question. Ceci n'a rien de bouddhique, puisque le Dhammapada rapporte:
"157. Si l'on sait que le moi est cher (à soi-même), l'on doit bien protéger le moi. Pendant chacune des trois veilles, le Sage doit rester vigilant.
(...)
160. Le Moi est le protecteur du moi, car quoi d'autre pourrait être un protecteur ? Par un moi pleinement contrôlé on obtient un refuge qui est dur à gagner."
Evidemment, Pilhet est un disciple de M° Deshimaru, et comme la plupart d'entre eux, le tient pour un dieu, sa parole est évangile, et rien ne doit en être examiné et encore moins critiqué. Je suppose que c'est cela qui lui fait accumuler les sottises. Malheureusement, Pilhet est prof de philo, et en cela, articulé, capable d'écrire et cela, de façon convaincante. Le prestige de l'écrit et des diplômes, en quelque sorte.
Mais cette histoire de "détruire l'ego" n'a rien de bouddhique: il s'agit d'un réflexe fascistoïde, typique des sociétés "de groupe" où l'individu n'a pas d'importance, ou seul le groupe compte, et où l'individu n'a qu'à "s'harmoniser" avec le reste du groupe. Evidemment, dans cette configuration, on oublie commodément que "le groupe" a un chef, et que celui-ci est le seul à avoir droit à l'individualité. Que le Japon contemporain soit encore imprégné de cela, c'est une évidence. Un proverbe japonais dit que l'on tape toujours sur le clou qui dépasse. Et l'expression "tu as un ego trop fort" est typique dans les bureaux au Japon. Un copain qui travaille au ministère des affaires étrangères du Japon me disait à quel point il détestait se faire servir cette phrase.
Que M° Deshimaru, vu ses liens d'avant-guerre avec des groupes d'extrême droite militaristes, ainsi que l'appartenance à la génération qui était la sienne, ait pu être influencé par cela n'étonnera personne, je pense. Cela n'est pas une raison pour refuser de le contester s'il a proféré une sottise.
Et, j'insiste, je rebats le clou, je le martèlerai tant et tant qu'il faudra, les histoires d'ego sont à foutre à la poubelle.
Le Bouddhisme n'a jamais été affaire de détruire son ego. Et toute formule de ce genre est à entendre soit, dans un sens, pour écraser l'autre ("Tu as un ego trop fort", "il faut détruire ton ego") soit, dans l'autre, comme de l'auto-mortification ("Il faut que j'apprenne à détruire mon ego", "mon ego prend trop de place", etc. ad nauseam).
La seule chose qui compte, c'est de comprendre, une bonne fois pour toutes, que nous ne sommes pas seuls, que nous dépendons des autres, que les autres dépendent de nous, et que nos paroles, nos actes, voire nos pensées ont des conséquences.