Jijuyu Zanmai
(Le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même)
Rév. Kodo Takeuchi Centre pour les études zen Sôtô Directeur moniteur de recherche |
Au début du Bendowa, il explique clairement que le Dharma du Bouddha qu’il avait reçu, correctement transmis, n’est rien d‘autre que le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même, jijuyu zanmai.
Tous les Bouddhas Tathagatas qui ont transmis individuellement le merveilleux Dharma, réalisant l’éveil complet, insurpassable, possèdent un art extraordinaire, suprême et inconditionnel. Le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même est sa marque ; seuls les bouddhas le transmettent aux bouddhas sans faillir. Être assis en zazen est la porte authentique pour pénétrer librement dans le domaine non confiné de ce samãdhi.
Bien que cet inconcevable Dharma soit abondant en chaque personne, il ne se manifeste pas sans pratique, et n’est pas atteint sans réalisation.
Tous les bouddhas transmettent un Dharma du Bouddha merveilleux, de maître à disciple. Ils atteignent tous l’éveil insurpassable. La meilleure méthode pour cet éveil est le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même. Nous devrions en faire notre norme. Être assis en zazen est la voie authentique par laquelle nous entrons délibérément dans ce samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même.
Le Fukanzazengi (« Instructions universellement recommandées pour zazen ») nous donne des instructions détaillées sur la pratique de zazen en tant qu’accès authentique au samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même : « Une pièce paisible est appropriée. Mangez et buvez modérément. Mettez de côté tout engagement et suspendez vos activités. Ne pensez pas « bien » ou « mal ». Ne jugez pas « vrai » ou « faux ». Abandonnez les opérations de l’esprit, de l’intellect et de la conscience ; arrêtez de concevoir par le biais de pensées, d’idées et d’opinions. Ne pensez pas à devenir un Bouddha. »
Il enseigne qu’en lâchant l’esprit qui essaie d’atteindre l’éveil par le biais d’une compréhension intellectuelle fondée sur l’étude des écritures comme des paroles consignées et en pratiquant zazen pour revenir au soi originel, notre esprit-corps s’efface naturellement et le « vrai visage » se manifeste. Si nous voulons atteindre le vrai visage, nous devons pratiquer zazen immédiatement.
Le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même et l’éveil ne sont pas distincts. Le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même est la pratique de l’éveil lui-même. Cela est expliqué dans la citation suivante du Bendowa.
Tous les patriarches et tous les bouddhas soutiennent que le Dharma du Bouddha a fait de l’assise droite la vraie voie pour la réalisation de l’éveil, en pratiquant au sein du samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même. Ceux qui ont atteint l’éveil en Inde et en Chine ont suivi cette voie.
L’enseignement du samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même de Dôgen comme étant une norme a été transmis à Keizan Zenji. Cela est clair dans son « Enseignement pour Myojo Zenji », dans les Sermons de Tokoku Kaizan. Ici il a clairement expliqué que le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même n’est rien d’autre que la pratique de zazen.
Vous ne devriez pas douter de cela. Si vous ne le comprenez pas entièrement dans cette vie, quand aurez-vous la chance de clarifier la grande question ? Si vous désirez clarifier la grande question, il n’y a rien de mieux que le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même. Le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même n’est rien d’autre que zazen.
Nous avons maintenant découvert que le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même est un état d’éveil pendant zazen et qu'il n’est donc pas séparé de zazen. Nous devrions donc comprendre que le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même est directement lié à la fondation des enseignements du zen Sôtô.
Le Tashintsû (« Le pouvoir de pénétrer l’esprit des autres ») du Shôbôgenzô est un fascicule très important pour nous aider à comprendre pourquoi Dôgen Zenji insiste sur le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même et ce qu’est en fait le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même. Ce fascicule concerne une histoire à propos de Nanyô Echû décrite dans le 28e chapitre du Keitoku Dentoroku. Le maître national Nanyô Echû, un disciple du sixième patriarche Enô, avait reçu comme ordre de l’empereur de tester le maître de Tripitaka Daiji d’Inde, qui proclamait avoir atteint la capacité de voir l’esprit des autres.
Dans cette histoire, Echû demanda à Daiji d’identifier où il (Echû) se trouvait par trois fois. Daiji put localiser Echû les deux premières fois, mais ne put pas répondre la troisième fois. Echû lui hurla dessus, en disant : « Tu es possédé par l’esprit d’un renard sauvage (un pseudo-pratiquant du zen) ! » Dôgen Zenji introduit les commentaires de cinq maîtres zen sur pourquoi Daiji n’a pas pu répondre la troisième fois. Ces cinq maîtres sont Jôshû Jûshin (778-897), Gensha Shibi (837-908), Gyôzan Ejaku (807-883), Kaie Shutan (1025-1072) et Secchô Myôkaku (980-1025). Le fascicule Tashintsû consiste en une critique par Dôgen des commentaires de chacun de ces cinq grands enseignants.
Dôgen a particulièrement insisté sur l’importance de ne pas ignorer l’incompréhension de Gyôzan Ejaku du samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même. Ejaku a dit que la raison pour laquelle le maître de Tripitaka Daiji n’a pas pu trouver la position du maître national Echû la troisième fois était que : « Les deux premières fois Echu s’intéressait aux circonstances extérieures. Mais ensuite Echû est entré dans le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même. C’est pourquoi Daiji n’a pas pu le voir. »
Ce n’est pas que l’esprit concerné par les circonstances extérieures et le samadhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même soient différents. Il n’aurait pas dû dire que Daiji n’avait pas pu voir Echû parce que l’esprit concerné par les circonstances extérieures et le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même sont différents. Ainsi, bien que Gyôzan ait présenté une raison pour laquelle Daiji n’avait pas vu Echû la troisième fois, sa déclaration n’était cependant pas une déclaration correcte. Si l’un n’a pas vu l’autre dans le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même, le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même ne se manifesterait pas et ne réaliserait pas le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même. Si Gyôzan avait supposé que Daiji connaissait la position d’Echû les deux premières fois, il ne pouvait pas être quelqu’un qui avait compris le Dharma du Bouddha.
Dôgen Zenji écrit que Gyôzan a fait une double erreur en faisant la différence entre l’esprit concerné par les circonstances extérieures et le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même et en déclarant que l’un ne pouvait pas voir l’autre en samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même. Il critique Gyôzan particulièrement durement. Si quelqu’un ne peut pas voir le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même, il devient impossible pour lui/elle de savoir s’il/elle est en samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même. Cela nie totalement la possibilité de pratique-réalisation.
Cela se résume à dire qu’un état de samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même, tout en pratiquant zazen dans l’unité de la pratique et de la réalisation , n’est pas une fonction spéciale de l’esprit et qu’il est possible pour un pratiquant de savoir s’il/elle est en samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même.
Cette fonction de l’esprit qui se manifeste quand nous sommes assis en zazen, avec une posture correcte et l’attitude d’abandonner les « opérations de l’esprit, de l’intellect et de la conscience, [d’arrêter] de concevoir par le biais de pensées, d’idées et d’opinions » est différente de l’intellect et de la perception ordinaires. Cela est expliqué dans le Bendowa :
Ces différentes influences mutuelles ne se mélangent pas avec les perceptions de cette personne qui est assise, parce qu’elles ont lieu dans le calme, sans aucune fabrication, elles sont la réalisation elle-même.
Donc, même quand beaucoup de choses apparaissent dans l’esprit, elles sont loin des activités humaines et sont la conséquence directe de l’éveil.
L’intention de Dôgen d’enseigner expressément que le Dharma du Bouddha qui lui a été correctement transmis est le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même du zazen semble être liée au fait qu’à cette époque en Chine, l’école Rinzai était florissante. Le zen de la contemplation de la parole (kanna Zen) établi par Daie était très dominant. Le zen de la contemplation de la parole de Daie cherchait à atteindre l’illumination en travaillant sur des koans. Il a sévèrement critiqué le zen de l’illumination silencieuse de l’école Sôtô (mokusho Zen) comme étant décevant et trompeur pour soi et les autres et l’a violemment condamné comme étant « le zen pernicieux du Sôtô ».
Le zen de l’illumination silencieuse enseigne que l’œuvre de la nature de bouddha se manifeste par elle-même quand on reste assis silencieusement. C’est une tradition du zen orthodoxe méridional qui a pour origine le sixième patriarche Daikan Enô. Il n’insiste pas tellement sur le fait d’atteindre l’illumination. On est ainsi toujours en danger de tomber dans l’idée non-Sôtô d’illumination spontanée en se reposant sur le naturel du pur soi. C’est le point que Daie a critiqué. Il n’est pas difficile d’imaginer que Dôgen Zenji était vivement conscient de la critique venant du zen de la contemplation de la parole contre l’illumination silencieuse quand il a écrit sur le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même au début du Bendowa.
Après Dôgen Zenji et Keizan Zenji, le zazen du samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même a été progressivement oublié dans l’école Sôtô et chaque subdivision des écoles a développé son propre style de pratique en utilisant les koans. Après une longue période au Japon s’étalant du milieu du Moyen Âge à la période Edo, les gens ont commencé à réexaminer le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même avec un intérêt renouvelé.
Menzan Zuiho (1683-1769) est bien connu en tant que grande autorité des études zen Sôtô modernes. L’un de ses nombreux ouvrages est le Jijuzanmai (Sur le samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même) (1738). Dans ce livre il a compilé de nombreuses paroles sur le zazen à partir du Bendowa de Dôgen, du Zazenshin et d’autres fascicules du Shôbôgenzô, le Shôbôgenzô Zuimonki et ainsi de suite. En utilisant ces citations, il a clairement démontré que le zazen dans la tradition Sôtô devrait être le zazen du samãdhi que l’on reçoit et que l’on met en pratique par soi-même, dans lequel l’état lors du zazen est lui-même un état d’éveil, au lieu d’être un zazen de blocage des illusions et d’ouverture à l’illumination.
Version originale écrite en japonais par le Rév. Kodo Takeuchi |
Traduit en anglais par le Rév. Issho Fujita |
Assisté du Rév. Tonen O'Connor et Rév. Zuiko Redding |
Traduit en français par François Belliard |