Il explique que "Le mode de recevoir et d'utiliser le Soi" est un des ouvrages les plus importants de Dôgen, mais que les traductions posent souvent problème parce que les traducteurs tentent de rester dans le style de Dôgen qui fait de très longues phrases, dont on tend à oublier le début quand on arrive à la fin. Le texte est déjà en soi difficile, et ses interlocuteurs, quoique parlant anglais, ont une autre langue que celle-ci, ce qui complique encore les choses. Il écrit: "Je l'avais paraphrasé pour mon livre "Don't Be A Jerk", mais cette version était un peu trop... Un peut trop Brad Warner-ique. Je voulais utiliser une version qui soit plus dogennienne, mais moins typique de l'écriture japonaise classique."
Je vous transmet donc ma version de la sienne.
Brad Warner (pour Dôgen) a écrit:
Le samadhi de la réception et de l'utilisation du soi est la voie véritable. C'est la façon de s'ouvrir à l'éveil. Tous nos ancêtres et tous les bouddhas du passé ont pratiqué la voie de s'asseoir droit. On l'appelle zazen.
En Inde, en Chine et ailleurs, ceux qui nous ont précédé sur cette voie ont suivi la voie de zazen. C'est parce que tous les maîtres ont intimement transmis cette subtile méthode. Les étudiants doivent recevoir et maintenir son esprit véritable.
Cette tradition a été transmise simplement et sans erreurs. Elle est le Dharma simple et sincère du Bouddha. Elle est la plus suprême de ce qui est suprême. Du moment où vous entreprenez cette pratique, aucune autre n'est nécessaire. Nul besoin de brûler de l'encens, de s'incliner, de réciter, de se repentir ou de lire des sûtras. Asseyez-vous juste et laissez tomber corps et esprit.
Quand vous pratiquez zazen avec le corps, la parole, l'esprit tout entiers, même pour une courte période, chaque être vivant, chaque objet, et la totalité de l'espace de l'Univers tout entier* devient éveil. Cela permet à tous les êtres, à tous les objets et à la totalité de l'espace d'augmenter la joie du Dharma qui est leur nature originelle. Cela leur permet d'être des bouddhas. Cela renouvelle leur éveil.
Ensemble, tous les êtres dans toutes les directions et dans tous les domaines deviennent clairs en corps et esprit. Ils réalisent la grande libération. Leur visage original apparaît.
Toutes choses s'éveillent ensemble à l'éveil suprême. Elles utilisent le corps de bouddha. Elles vont immédiatement au delà de l'éveil parfait et complet. Elles sont assises droit sous l'arbre de la bodhi. Elles tournent la roue du Dharma. Elles expriment la sagesse profonde ultime, qui n'est ni vraie ni fausse.
Ainsi, l'éveil suprême, complet et parfait de toutes choses retourne à la personne assise en zazen. Cette personne et cet éveil s'assistent mutuellement de façons intimes et imperceptibles. Qui fait zazen laisse absolument tomber corps et esprit et le fait sans faute à chaque fois qu'il pratique.
Toutes vos croyances erronées s'effondrent. elles éveillent le véritable Dharma du Bouddha. Elles aident de façon universelle le travail du Bouddha dans des endroits infinis là où pratiquent les bouddhas. Elles influencent largement tous ceux qui pratiquent. Elles assistent tous ceux qui vont au delà du Bouddha. Elles font l'élogede, et proclament le Dharma qui va au delà du Bouddha.
A cet instant, tout être vivant, tout objet, et la totalité de l'espace dans l'Univers tout entier dans toutes les directions poursuit l'oeuvre du Bouddha. C'est pourquoi tout un chacun et tout reçoit les bénéfices du mouvement de l'eau et du vent causés par cette pratique de zazen. Tous ont contribué à réaliser l'éveil qu'ils possédaient dès le départ. Cela reste vrai quoiqu'ils ne l'aient pas perçu.
Tous ceux qui reçoivent ce vent et ce feu répandent l'influence de l'éveil originel du Bouddha. Tous ceux qui vivent et parlent avec ces gens partagent aussi cette vertu. Eux aussi répandent et font circuler cette vérité à travers tout l'Univers. Cette vérité est sans limite. Elle ne cesse jamais. Elle ne peut pas être comprise. Elle ne se peut mesurer.
Cependant, la personne assise en zazen ne le remarque pas. Ses perceptions n'interfèrent pas avec. C'est parce que cette immobilité n'est pas quelque chose qu'elle a créée. Elle fait directement l'expérience de l'immobilité déjà existante. Avec cette immobilité, la personne devient l'éveil même.
Nombreux sont ceux qui croien que pratique et éveil sont deux choses différentes et peuvent être perçues séparément. Elles ne le sont pas. L'éveil n'est pas associé à la perception. Les sentiments humains sont de l'ordre de l'illusion. Ils ne sont pas à la hauteur des standards de l'éveil.
Esprit et objet apparaissent et disparaissent dans l'immobilité. Ceci se passe dans le domaine du samadhi de la réception et de l'utilisation du soi. Sans même déranger un brin de poussière, et sans rien détruire, l'oeuvre et l'influence du Bouddha ont lieu. Affectés par cette fonction, chaque être vivant, chaque objet, et la totalité de l'espace irradient la brillance. Ils exposent sans fin la profonde et merveilleuse vérité.
Chaque être vivant, chaque objet, et la totalité de l'espace louangent et proclament cette vérité au bénéfice des être vivants, qu'ils sont ordinaires ou saints. Ces derniers, à leur tour, louangent et proclament la vérité au bénéfice de chaque être vivant, de chaque objet, et de la totalité de l'espace.
Il n'y a rien qui manque dans le domaine de l'éveil de soi et de l'éveil des autres. Il [le domaine de l'éveil] a toutes les qualités de l'éveil. Il permet que l'éveil soit réalisé et pratique sans cesse.
Si une seule personne s'assied en Zazen même pour peu de temps, Zazen ne fait plus qu'un avec toute l'existence et remplit complètement la totalité du temps. C'est une coopération mystique. Il guide tous les êtres, toutes les choses et tout l'espace dans le passé, le présent et l'avenir.
Zazen est exactement la même pratique et exactement le même éveil autant pour la personne assise que pour tous les êtres, tous les objets, et pour la totalité de l'espace. La pratique se poursuit, non seulement durant l'assise, mais aussi avant et après. C'est comme un marteau frappant le vide. Le son résonne à jamais et avant, et apèrs. Toutes choses possèdent le visage originel. C'est impossible à mesurer.
Si tous les bouddhas s'assemblaient et combinaient toute leur sagesse pour tenter de calculer la bonté d'une personne assise en Zazen pour un instant, ils ne pourraient même pas approcher du résultat.
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* Dôgen écrit en réalité “herbe, arbres, murs, tuiles et cailloux.” Partout où il utilise cette expression, j'ai substitué "chaque être vivant, chaque objet, et la totalité de l'espace.” Je ne suis pas sûr d'avoir raison de faire cette modification. Je pourrais éventuellement revenir dessus.