par Brad Warner
Je n’ai aucune idée de ce qu’est le zen ou de la façon dont on devrait le pratiquer.
Je ne sais pas ce qu’est un prêtre zen, ni comment il faut les ordonner.
Je ne sais pas ce que signifie être un « maître zen » ni même un enseignant zen.
Je ne sais pas évaluer la valeur relative d’une façon de pratiquer par rapport à une autre, pas plus que les résultats d’une forme plutôt que l’autre. Je ne vois même pas l’intérêt d’essayer .
Je ne sais même pas ce que signifie être un étudiant du Zen. C’est pour ça que je suis si embêté quand des gens demandent à être mon étudiant.
C’est pas que j’essaie d’être compliqué et « Zen » en racontant ceci. Je suis totalement sérieux à 100 %, direct et sans ironie. Je suis vraiment absolument sincère.
Je peux peut-être parler un peu de ce que le Zen signifie pour moi. Pour moi, le Zen est comme une sorte de bête sauvage féroce avec d’énormes crocs et des griffes tranchantes.La tâche que je me donne, c’est d’essayer de faire plus ou moins en sorte de faire ami-ami avec elle pour pouvoir dormir dans la chaleur de sa fourrure sans trop craindre qu’elle ne décide de me mettre en pièces, de m’étriper et de me manger.
Cette bête n’est pas un gentil chaton ou un gentil chien-chien. Non seulement elle n’est pas apprivoisée, mais elle est folle. Même si elle ne me tue pas cette nuit, elle pourrait le faire demain. Elle est totalement imprévisible.
Le consensus dans le Zen américain, d’autre part, me paraît être une tentative de la capturer, de l’anesthésier, de lui arracher les griffes et les crocs, et de l’obliger à engendrer une progéniture domestiquée, sans crocs et sans griffes. Cette progéniture sera ensuite abattue, leurs corps seront séchés et salés, et emballés dans des sacs plastique avec une photo de la bête d’origine et les mots Viande séchée de bête sauvage en lettres rouge feu accompagnées d’un slogan du genre « Pouvez-vous dompter la bête sauvage ? »
Essayez de comprendre que je ne suis pas en train d’essayer de décrire tous les enseignants, tous les centres zen et toutes les expériences zen qui ont lieu dans l’un des cinquante états des Etats-Unis d’Amérique ou leurs territoires et possessions. Je décris ce que je vois surgir d’un agrégat de consensus qui se met rapidement en place lors de rencontres où des représentants auto-nommés du Zen américain s’assemblent pour discuter de ce qu’ils croient que devrait être ce qu’ils sont en train de créer. Et le consensus le plus fort que je vois surgir, c’est « il faut une standardisation ». Parce que la standardisation est plus sûre et cohérente. C’est ce qui a fait le succès de McDonald. Ils n’offrent pas le meilleur hamburger du marché, mais il a partout le même goût et est statistiquement moins susceptible de vous filer la courante.
Voici mon entendement sur les débuts de ce que nous connaissons aujourd’hui comme les formes monastiques de la pratique zen. Au tout début, il y avait le petit groupe qui s’est formé autour du Bouddha en Inde. Une partie de ce que nous avons aujourd’hui en dérive. Ils ont inventé leurs pratiques et leurs formes monastiques au fur et à mesure.
Le Bouddha n’a pas été le premier à tenter de découvrir les vérités les plus profondes de la vie en s’asseyant tranquillement et en les observant à l’oeuvre en lui-même. Bien d’autres l’avaient fait avant lui. Sa grande innovation, cependant, avait été de créer une méthode pour enseigner à d’autres ce qu’il avait fait et de transformer une pratique individuelle en une pratique qui pourrait être faite en communauté.
Il ne s’était pas décidé à fonder une religion ou même un ordre monastique. Il s’était mis en route pour découvrir la vérité pour lui-même. Après l’avoir découverte, il avait tout d’abord pensé qu’il serait inutile de tenter d’en parler à quiconque. Personne ne comprendrait. La légende veut que ç’ait été le dieu Indra qui lui avait demandé d’enseigner aux autres ce qu’il avait appris. Il a donc essayé de s’y mettre.
Avance rapide d’un bon milliers d’années, et nous sommes à Bodhidharma. Ce dernier était ce type grognon qui voulait juste rester assis tout seul et découvrir la vérité. Il était parti de chez lui en Inde, et s’était trouvé une grotte quelque part en Chine. Il s’y était assis pendant neuf ans à y méditer seul.
Le bruit a alors couru qu’il yavait un bizarroïde qui restait assis dans sa grotte, et bientôt, quatre personnes, trois hommes et une femme, voulurent se joindre à lui. J’aime à les imaginer se pointant timidement, l’un après l’autre, à sa caverne et demandant s’ils pouvaient s’asseoir en sa compagnie. Il est probable que Bodhidharma ait eu l’air tout aussi sévère et grognon que ce que nous en montrent les caricatures et statues qui le décrivent. Il était probablement du genre : « Grrrr, ouais, bon, OK, assieds-toi là. Et ne me dérange pas ou je te sors à coups de pied au derrière ! » Sans doute leur faisait-il faire le ménage et d’autres trucs en échange de pouvoir rester.
Ceci est à la base d’absolument tout ce que nous faisons dans la pratique du Zen. C’est là pour nous permettre de nous engager dans une pratique personnelle de la méditation au sein d’un groupe. Rien d’autre. Tout ce qui peut ressembler à une tentative de standardiser les choses n’est là que pour s’assurer que la pratique d’une personne ne vienne pas entraver celle des autres. C’est tout. Nous sommes là pour nous soutenir mutuellement, et ne pas être dans le chemin des autres. Les hiérarchies n’existent que pour faire en sorte que tout fonctionne rondement. Si on en fait quoi que ce soit d’autre, elles ne causent que des interférences inutiles.
Personne ne peut mesurer la pratique des autres. Bon, ils peuvent s’ils le veulent, mais ce n’est qu’une stupide perte de temps et d’énergie. Quiconque vous dit que votre pratique vaut mieux ou moins que celle de quelqu’un d’autre n’a aucune idée de ce dont il/elle parle. Quiconque vous dit que vous êtes arrivés à quelque chose, résolu quelque chose ou failli à résoudre quelque chose ne fait que se payer votre tête. Il n’y a aucune raison d’écouter ce genre de sottises.
Vos enseignants ne sont même pas des enseignants. Ce ne sont que des personnes qui ont fait ce truc depuis un peu plus longtemps. Ils travaillent sur les mêmes choses que vous. Vous pouvez parfois apprendre quelque chose d’eux. Et parfois il vaut mieux que vous fassiez à votre façon.
Je n’essaie jamais d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit. Toute mon approche est d’essayer d’en apprendre le plus que je peux sur zazen, et mon rôle en tant que personne qui donne des conférences et reçoit des personnes en entrevue privée au cours des retraites, ainsi que d’écrire des livres, tout cela m’aide à y arriver. Si quelqu’un d’autre bénéficie de me regarder faire, génial. C’est superbe. Mais je n’ai aucun message pour personne. Je n’exagère pas, ici. Je suis tout à fait sérieux.
Un des aspects les plus brillants de la tradition Zen, c’est que quiconque a été fait « maître » peut à son tour faire de quiconque un « prêtre » (ou « moine ») ou un « maître » comme bon lui semble. Et personne n’a rien à y redire.
Personne n’a à faire approuver son ordination par un comité ou une organisation. Personne n’a rien à dire sur le niveau d’expérience dont a besoin la personne pour se faire ordonner ou à travers combien d’anneaux bureaucratiques elle doit sauter, à part le maître de cette personne.
Selon moi, c’est absolument génial. Certes, il existe des institutions bureaucratiques qui se réclament du Zen, mais elles n’ont en rien davantage de légitimité que quelqu’un qui décide sur un coup de tête que la personne qu’il vient de rencontrer dans l’ascenseur mérite de recevoir la transmission du Dharma.
Il y a un groupe de personnes en Amérique vous voudraient que cela change. C’est trop chaotique pour eux ! C’est hors de contrôle !
Mais, selon moi, la nature chaotique et incontrôlable du système courant, système qui a subi avec succès l’épreuve du temps, est précisément ce qui est bien.
Par le passé, on a toujours permis à l’aspect sauvage du Zen de coexister avec l’aspect institutionnel. Il est bien compris en Asie que les grosses institutions bouddhistes doivent leur existence même à des pionniers qui étaient totalement hors-contrôle et hors institutions. J’ai bien peur que ce qui est tenté en Amérique, c’est la destruction complète de cet aspect sauvage du Zen. C’est l’American Way. De même que ce que nous avons fait de nos propres traditions historiques. De même que ce que nous avons fait de nos centre-villes et de nos débits indépendants de hamburgers.
Je suis certain que les Américains qui ont voulu transformer tout ce chaos en Viande Séchée de Bête Sauvage finiront par y arriver. Cela m’attriste profondément. Leur descendants dans le Dharma s’asseoiront pour juger de ce qui ne peut être jugé et le Zen américain évoluera en rien de plus qu’une autre sotte institution religieuse avec de jolies robes et de mignonnes cérémonies autour de la coquille vide et morte de ce qui aurait un jour pu être important.
Mais même comme cela, j’ai la ferme intention de continuer à me battre jusqu’au bout. Si vous voulez vous joindre aux perdants, je suis là. Donnons leur au moins un baroud d’honneur dans une bataille dont ils se souviendront.