par Rémi Mer 27 Mar 2019 - 14:21
Yudo, maître zen a écrit:Pour revenir au sujet, le principe de la vacuité a depuis très longtemps suscité d'énormes quantités de délires, l'un des derniers en date étant le nihilisme à la Nishida Kitaro. Alors qu'il faut tout simplement comprendre comme le dit le Sûtra, "que le corps et les cinq agrégats sont vide d'existence propre"
C'est un peu le problème des phrases tronquées, du genre "rien n'existe" alors que la phrase est "rien n'existe indépendamment du reste"
C'est si exact ! Mais trop simple pour les gens. Qu'on soit prédisposé favorablement ou non à ces concepts, l'envie de complexifier et de supposer une magie, une sorte d'état divin qui serait un hors-monde, est très présente chez beaucoup, et l'a été chez moi en tout cas. Que d'efforts ridicules à chercher d'atteindre sunyata, la vacuité, à s'affronter à l'aporie du néant impensable (si tu le penses, c'est qu'il n'y est pas, puisqu'il y a quelque chose et pas "néant", puisqu'il y a pensée du néant) alors que c'est si simple...
J'en veux pour preuve un échange que j'ai eu récemment avec un avide détracteur du bouddhisme sous toutes ces formes. Je vous partage ça en le rendant anonyme et en le mettant en "spoiler" pour que ça ne prenne pas trop de place ici, sachant que c'est périphérique. Mais c'est un bel exemple je crois des erreurs qu'on peut faire (moi y compris).
- Exemple d'échange (vain) sur la vacuité avec quelqu'un sur internet.:
Le post initial suscitant ensuite nos échanges était de Matthieu Ricard : "Par l'étude et la réflexion, on comprend l'origine de la souffrance et la façon dont elle se déploie et se perpétue.
Puis, on apprend comment inverser ce processus et l'on acquiert, alors, la conviction qu'il est possible de s'en libérer.
On comprend également à quel point il est important – pour s'en libérer – d'avoir une vision juste de la nature des choses, autrement dit de la vacuité, de l'absence d'existence propre."
S'en est suivi cet échange de commentaires entre quelqu'un et moi ; j'y ai consacré beaucoup d'énergie et de temps en me demandant bien pourquoi je le faisais, et si c'était là des "moyens habiles", comme on dit. J'ai tronqué pas mal de choses mais rien modifié.
X - Ce qui est plein de vacuité, c'est ta pensée de la semaine. La nature des choses s'obtient par la démarche scientifique. Pas par la voie bouddhiste.
Y - La nature des choses ne s'obtient pas. Quelle étrange formule... "Obtenir" la nature des choses... La démarche scientifique vise à une connaissance objectivée, la seule qui soit facilement communicable et vérifiable / contestable. Cependant, rien n'empêche la coexistence de cette approche (scientifique) avec un point de vue plus empirique basé sur la reconnaissance d'une spécificité perceptive liée au fait d'avoir une conscience et des sens.
Grâce à la science, on sait comment une chauve-souris "voit" grâce à un sonar. On sait ce qu'est une onde sonore, on peut en mesure la fréquence. Mais ça ne nous fait pas voir comme la chauve-souris. On ne peut pas attendre de la science qu'elle nous explique ce qu'est un ressenti (dans mon exemple, la vision) ; et on ne peut pas attendre d'un ensemble de techniques rassemblées très artificiellement dans ton commentaire sous le nom "voie bouddhiste" (il y a plein de courants différents) qu'il (cet ensemble, donc disons, "la voie bouddhiste") ait un degré de communicabilité et de possibilité de validation / réfutation / duplication des expériences comparable à celui d'une démarche scientifique.
C'est comme si tu disais "pour attraper ta bière faut utiliser les mathématiques, ça c'est la vérité" ; alors que si le calcul des distances / vitesses / positions peut s'appliquer au geste de boire sa bière, on va pas se mettre à faire des équations pour faire des choses que notre intuition acquise ou innée nous permet de faire "naturellement".
Le "bouddhisme" (pour parler large) ne pose pas d'équations mais propose des techniques et une philosophie (un peu simpliste peut-être au goût de certains mais tout à fait cohérente) qui suppose un travail sur un plan différent de la science. Et potentiellement compatible avec la science.
Donc clairement (si tu as eu le courage de lire jusque là), quand tu dis : "Ce qui est plein de vacuité, c'est ta pensée de la semaine. La nature des choses s'obtient par la démarche scientifique. Pas par la voie bouddhiste." ; c'est exactement comme si tu disais :
"La nature des choses ne s'obtient pas par le tricot / l'agriculture / l'haltérophilie / l'onanisme etc.... mais par la démarche scientifique".
Ce qui est grave, car ce faisant, tu fais de la science une religion bien plus que tu ne fais étale de la moindre connaissance concernant le bouddhisme.
Amicalement, bisous.
X - Y, oui j'ai tout lu. Le bouddhisme met bien en equation et categorise sur la base d'un dogme que l'on n'a pas le droit de réfuter. Ce dogme est coherent à tes yeux, pas aux miens. La loi de l'impermanence est fausse, les nobles vérités sont des contre vérités et la vacuité est une arnaque. Sans parler de la voie du milieu et de l'interdependance qui sont réfutés par l'experience.
Y - Quelles expériences / quelle expérience réfute l'interdépendance ?
X - Pour te répondre sur l'interdependance, il n'y a pas d'interconnection ou d'interdependance entre mon pet de ce matin au réveil et la vitesse de la lumière. à moins que tu puisses le prouver.
Y - L'interdépendance c'est pas dire que n'importe quel X est relié à n'importe quel Y, mais de dire que n'importe quel X ou Y n'existe pas seul indépendamment d'autres facteurs. Ton pet n'est peut-être pas relié à la vitesse de la lumière (je le souhaite pour ton anus haha) mais il est relié à ton métabolisme et n'existe pas seul et sans causes.
En ouverture / conclusion :
"Striking aside waves to look for water when the waves ARE water. Forms don't hinder emptiness; emptiness is the tissue of form. Emptiness isn't destruction of form; form is the flesh of emptiness."
(Zen Words for the Heart: Hakuin's Commentary on the Heart Sutra. Trans. Norman Waddell, 31)
que je traduirai approximativement comme ceci :
"Pourquoi écarter les vagues pour chercher de l'eau quand les vagues SONT de l'eau ? Les formes n'empêchent pas le vide; le vide est le tissu de la forme. Le vide n'est pas la destruction de la forme; la forme est la chair de la vacuité."
"