Comme point de départ de la discussion (qui couvre un champ très vaste), s'il vous manque de l'inspiration, vous pouvez lire ce petit article qui démontre le mécanisme de la crédulité, donc de la victoire de l'émotion sur la raison.
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Les Mécanismes de la crédulité
Fabrice Clément, Droz, 2006, 366 p. Jean-François Dortier
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Qu'est-ce que la crédulité ? C'est prendre pour argent comptant des informations manifestement contre-intuitives : par exemple, le fait de croire que des extraterrestres viennent régulièrement enlever des humains. Il y a des gens qui croient ces histoires. Pourquoi ? Fabrice Clément, chercheur en sciences cognitives à l'université de Lausanne, tente d'apporter une explication « naturaliste » à la crédulité en faisant appel à des mécanismes mentaux universels qui auraient une fonction dans l'adaptation de l'individu. Comment des croyances manifestement « irrationnelles », voire délirantes, peuvent-elles avoir un rôle adaptatif ? La solution que propose F. Clément est la suivante. La plupart des croyances qui nous sont transmises par autrui (rumeurs, informations, nouvelles...) sont soumises à deux filtres mentaux : l'un cognitif, l'autre émotionnel. Le filtre cognitif (qu'on pourrait appeler le « sens critique ») cherche à établir si une information est crédible ou non au regard de l'expérience et de la culture de chacun. Face à une information absurde ou contre-intuitive, (« il y a un fantôme dans le placard »), nous exerçons spontanément ce filtre cognitif.
Quant au filtre émotionnel, il trie ce qui est désirable ou non. Car pour qu'une information soit acceptée, il ne suffit pas qu'elle paraisse vraie ou fausse, il faut aussi qu'elle ne perturbe pas trop l'équilibre psychique. Ainsi la certitude de notre mort est une information crédible, mais émotionnellement difficile à digérer. L'affirmation contraire (« je suis immortel ») n'est pas pertinente au regard du filtre cognitif, mais elle est très désirable : le filtre émotionnel lui ouvre grand les bras. Le filtre émotionnel entre ici en conflit avec le filtre cognitif. Une des façons de résoudre ce conflit entre le coeur et la raison consiste à berner le filtre cognitif à l'aide de « leurres cognitifs ».
Dans le cas des extraterrestres kidnappeurs, le filtre cognitif devrait éliminer des croyances aussi peu en harmonie avec notre vie quotidienne et l'état de nos connaissances ordinaires. Paradoxalement, beaucoup de tenants de la théorie des ovnis font bien jouer leur filtre cognitif, mais à l'égard des discours officiels, ceux de la science (qui serait aveugle à certains phénomènes), ou des gouvernements (suspectés de nous cacher certaines vérités). La contre-culture ufologique a d'ailleurs rassemblé un dossier copieux de données et d'arguments propre à ébranler les convictions ordinaires et à retourner le filtre cognitif contre ses certitudes les mieux établies. Le filtre émotionnel joue, lui, en faveur de la croyance aux extraterrestres. Parce « qu'ils s'intéressent à nous », dit l'un de ses adeptes. Surtout parce que le fait de croire en leur existence comporte une charge émotionnelle, qui contribue à focaliser notre attention sur certains phénomènes troublants.
Au final, la crédulité résulte d'une transaction entre deux filtres, cognitif et émotionnel, entre le rationnel et le désirable.