Zenoob a écrit:Bonjour !
En ce moment je lis pas mal de trucs sur le temps tel qu'il est vu par Dogen et - suppose-je - dans le bouddhisme en général : comme une succession de moments fixes, qui s'enchaînent et donnent l'illusion d'un mouvement. Un peu comme un film, constitué d'images fixes mais qui, mises bout à bout, donnent une impression de fluidité et de mouvement.
J'ai beaucoup de mal avec ça, pour tout dire, c'est une nouvelle angoisse métaphysique. Puisqu'on ne peut pas appréhender le présent, et pourtant qu'on vit dedans, on est où, on est quand ? Si tout est fixe, fondamentalement, et si chaque moment surgit, unique, l'un après l'autre, ça veut dire qu'on ne peut pas être stable, on ne peut pas concevoir sa propre existence comme ça ! En tout cas, j'ai beaucoup de mal. Pourquoi vivre si le temps est comme ça ? Puisque de toute façon, chaque chose que j'entreprends, chaque action que je fais, appartient déjà au passé au moment où je la commence, puisque le présent dans lequel j'existe est insaisissable, puisqu'aucune continuité ne peut m'identifier ou stabiliser le monde, à quoi bon faire quelque chose ?
En fait, la question, c'est plutôt : pourquoi agir bien puisque le monde, de toute façon, n'est qu'une succession de moments indépendants les uns des autres ; si je ne saisis le monde que comme un moment unique, alors je ne peux pas définir un monde "meilleur" qu'un autre, et du coup, ça ne sert à rien d'essayer de l'améliorer...
Le pire, c'est qu'on n'est pas séparé de ce moment. On en fait partie, on est ce moment.
Tout ça est un peu confus, désolé. Disons, plus simplement, que j'ai l'impression, en ce moment, de saisir que chaque moment que je vis est en train de disparaître, à tout instant. Ce n'est que ça : disparition après disparition. Et c'est très triste, j'ai du mal avec ça. Le fait que tout moment disparaisse et renaisse sans cesse ne me paraît pas génial : on pourrait dire que la renaissance, c'est beau, mais c'est aussi très angoissant parce qu'on ne sait pas ce qui va renaître et que c'est inconnu. Tout ce dont on peut être sûr, c'est la disparition de ce moment qu'on est en train de vivre. Envisager le temps comme un présent éternel n'est pas génial non plus, ça veut dire qu'on y est coincé ! Il me faut un coup de pied au cul philosophique, merci !
PS : sit down and shut up, oui, je sais...
Il me semble me rappeler avoir lu Dogen il y a longtemps, et aussi avoir trouvé une revue parlant de physique quantique.
L'un et l'autre disaient en substance exactement la meme chose en des termes quasi similaires.
et la chose était : "parfois le temps existe, parfois il n'existe pas".
et l'autre jour je suis tombe sur une phrase de Dogen qui m'a interpellé, ça parlait de "l'impermanence de l'impermanence".
Je crois que ça veut tout dire. Je ne suis pas un lecteur super fort de Dogen. Mais en général, une phrase me suffit pour un moment, tellement c'est condensé de sens.
Quand tu dis que chaque action que tu entreprends appartient déjà au passé quand tu la commence, je ne suis pas d'accord : ceci n'est pas vivre dans le présent. Car chaque action que tu entreprends, quand tu la commences, appartient au présent. Car on ne vit qu'au présent. et on n'y est pas coincé.
On s'y sent coincé quand on voudrait etre dans le passé ou le futur.
Or, le passé, le futur, font partie du présent.
et j'ai le sentiment que tu vis ces instances comme séparées des autres. Si le passé n'"est pas le futur, ils sont liés par le présent.
Ce passé dont tu parles, tu en parles maintenant. Ce futur que tu appréhendes, c'est maintenant que tu en parles.
En fait tu cherches ce continuum qui est sans cesse dénoncé comme étant ce qui caractérise la substance fixe de l'ego.
Mais tout cela est relatif, ça n'a pas de valeur absolue, en soi. Ou sinon, tu te trouves dans l'immense solitude de vit déconnecté du réel.
En fait, c'est lisant certaines choses sur des traditions chamaniques qui m'a donné une formulation que je trouve éclairante. Il s'y dit qu'en fait, quand on procède à la guérison, on entre dans des états de conscience où l'on abolit le temps, où l'on peut accèder à toutes les parties de soi de n'importe quelle époque. Le temps n'existe pas, mais parce qu'en fait tout n'est qu'espace.
Et pour les bouddhistes, l'espace, c'est la vacuité.
Ku, en japonais, signifie vacuité, mais aussi ciel. Ce qui explique cela.
Bien sur la renaissance c'est angoissant. Parce que tu voudrais des garanties, parce que tu voudrais la sécurité d'une position qui t'épargne la souffrance. Or, non, ça ne marche pas comme ça.
Pas de renaissance sans mort. Et résister à ça, peut etre plus douloureux que la chose elle-meme.
Tu voudrais durer, ne pas mourir. Donc tu souffres. C'est tellement mécanique...
MAis quelle est cette disparition qui est tellement source de souffrance dans ta vie?