Zenoob a écrit:.....
Je traduis : "dans un sens, il y a une continuité. Elle n'est juste pas absolue. Ce n'est pas exactement que "tu" ne peux pas être trouvé quelque part ou à un certain moment. Tu es là, tu lis ceci. Il n'y a aucun problème.
Le sentiment selon lequel on devrait insister sur notre existence absolue nous cause beaucoup d'angoisse inutile, comme celle que tu ressens maintenant. Si tu n'insistes pas sur ton existence absolue, rien de ce que tu racontes n'a vraiment d'importance."
Il est très fort, ce Brad, parce que c'est là mon "erreur", tout le temps, je crois. Je fais zazen avec l'idée, quelque part, que je dois trouver la vérité absolue de qui je suis et du monde. Mais en fait y a pas besoin de s'emmerder avec ça. Au contraire. Soyons relatifs, soyons ignorants, soyons comme nous sommes, et tout ira très bien.
Dans la lignée de cet enseignement, je lis en ce moment un bouquin de Clément Rosset, qui parlerait beaucoup aux fans de Dogen : "Loin de moi". Il y défend l'idée que "moins on se connaît, mieux on se porte". Ca me fait penser à Dogen qui dit quelque chose comme ça : "étudier le zen, c'est étudier le soi. Etudier le soi, c'est oublier le soi." Tout ce que je fais en essayant de comprendre et de saisir l'insaisissable me fait beaucoup souffrir, pour rien.
Bah dis donc....ça fait pourtant un peu de temps que j'essaie de te le faire savoir!....bon, je ne suis pas Brad Warner, quel dommage!
Mais bon, même tenter d'être juste ce qu'on est, c'est encore risquer d'en faire de trop et de tomber à côté!
Donc du coup, j'ai encore trouvé un petit passage de Uji, que j'ai lu hier, et que tes mots soutiennent et rejoignent.
"...Si jamais la présence entière et le temps entier pouvaient s'interpénétrer dans la totalité, alors seulement il ne subsisterait nul résidu du dharma. Mais puisqu'il reste toujours un résidu du dharma, le temps d'une présence où la percée ultime ne se réalise qu'en partie vaut autant que la percée ultime qui se réalise en une partie seulement du temps d'une présence.
Toute forme, aussi infime et indistincte soit-elle, constitue une présence. Livrée à elle-même, avec toutes les circonstances qui déterminent son actualisation confuse, elle devient une station dans la durée propre au temps d'une présence. Telle qu'elle est, grouillante, et bruyante, remuante et fuyante, toute station du dharma dans la durée n'est autre que le temps d'une présence. Point n'est besoin de pousser vers le néant, point n'est besoin de forcer la présence.
Tant que je présume que le temps passe à sens unique, je ne puis saisir le sens de l'inachevé. Et comme tout sens que l'on peut saisir n'a qu'un temps, le sens saisi par autrui ne m'est d'aucun secours. Nul être humain, tant qu'il est convaincu que le temps est orienté du passé vers l'avenir, ne parvient à percevoir le temps d'une présence en tant que station dans la durée. A plus forte raison, comment pourrait-il en un seul instant franchir la barrière? Et même celui qui a su reconnaître une telle station dans la durée, saura-t-il formuler après coup ce qu'il a retenu de son acquis authentique? Et quand bien même auparavant déjà quelqu'un serait parvenu à une formulation adéquate, à présent elle ne correspond plus à ce que je vois dans l'immédiat."
Bon, j'ai laissé telle quelle la traduction qui a été faite.
En général, Uji est plus souvent traduit par "être-temps".
Si on regarde le dico des kanjis, U(yuu), se traduit par "avoir, possèder, exister".
Et Ji, par "temps, heure". Mais si ce caractère est prononcé "toki", il exprime alors le temps sous son aspect de moment. Ce caractère est composé de deux caractères signifiant soleil et temple.
On peut épuiser les signifiants à l'infini chez Dogen...c'est toujours instructif de décortiquer le sens des kanjis du titre, ça dit beaucoup de choses.
On voir qu'en fait, entre le temps en tant qu'instant (l'heure), ou le temps en tant que moment, on peut glisser de l'un à l'autre.
Le sens de U, traduit le fait d'exister, mais le glissement entre cela et possèder, avoir, reste présent en permanence dans son sens.
Donc Dogen pose la question permanente de l'ambiguité de la lecture du réel...il la joue dans sa façon-même d'écrire à son sujet.
Ou comment atomiser le langage et subvertir l'intellect.
Bonne lecture.