Ta réflexion est pertinente, et pourquoi? Parce que tu as senti, et que tes sensations t'ont donné la piste, parce que tu perçois où ça coince.
Il faut arrèter de se leurrer : le zen est une pratique pleine de conditionnements, avec une histoire, pratique jeune chez nous. Plein d'incompréhensions, d'erreurs d'interprétations, d'adhésions dogmatiques, de manque de recul avec l'histoire, d'absence de réflexion sur la façon dont nos conditionnements culturels teintent et faussent notre compréhension d'un langage venu d'un ailleurs qu'on connaît si peu.
Il y a peu, je lisais un article dans le bulletin de l'AZi. L'enseignant y écrivant, parlait du christianisme. Il en parlait de façon caricaturale et superficielle, avec des préjugés tout faits, opposant sa vision du zen et du bouddhisme avec son discours sur le christianisme.
De ce que je vois, le bouddhisme, s'il s'implantait pour le plus heureux, à savoir pour de la pratique, depuis que ses responsables en marquent l'identité "bouddhiste" de façon affichée de plus en plus, me semble souvent formulé comme une réaction identitaire s'opposant à notre fond culturel : nous sommes judéo-chrétiens à la base, là où les orientaux sont immergés de bouddhisme et autres images qui ne sont pas les notres.
La lecture et l'usage des mots n'échappe pas à cela.
Et il me semble que le zen n'échappe particulièrement pas à notre conditionnement de pays universitaire et administratif : le maître énonce la loi, et énoncer la loi c'est dire que penser.
Cela peut se faire en ne disant pas ce qu'il ne faut pas penser, et il me semble que dans le monde du zen c'est bien plus souvent l'usage de mise. Celui qui brise le silence, sent vite qu'il est contre la tendance.
Quand il y a des mots qu'on ne dit pas, on voit vite qu'il y a des zones interdites.
Le fait de se réfugier dans des mots venus d'ailleurs, c'est la porte ouverte à toutes les manipulations possibles. Aussi à la maîtrise d'autrui par son ignorance. S'il ne sait pas manier le vocable, alors il la ferme devant ceux qui détiennent les clés du langage.
Pour ma part, j'ai toujours été curieux, et assez doué pour les langues. Je me suis initié aussi à la calligraphie japonaise. Je sais donc combien la sémantique japonaise et orientale, articule les mots, les pensées, le corps, d'une façon tellement différente de la notre. Connaître cela permet de démonter bien des préjugés sur le zen, aussi permet de relativiser bien des notions, car notre culture occidentale, et notre tradition française de sorbonnards fait de nous de terribles animaux conceptuels : nous saisissons par la pensée en permanence, et plus que d'autres peuples (vivant avec une italienne, je vois combien le monde italien est plus sensuel, ils sont artistes partout dans leur vie).
Dire, comme l'a fait Roland, que "amour" c'est connoté chrétiennement, en fait je trouve cela aujourd'hui pauvre comme argumentation.
Les zenistes français ont eu un maître fort viril, mais il était aussi fort aimant. Roland lui-même nous racontait qu'il était capable de discuter des heures pour rabibocher un couple. Qui de ses successeurs s'engagerait ainsi? Et moi, je ferais-je?
Mais beaucoup ont gardé l'image du samourai, et jouent au samourai. Combien de récits de petites violences dans les dojos ai-je reçus de gens qui traitent mal les débutants au nom du respect des règles et du silence? Tu as mal, et en plus on t'engueule si tu bouges. L'amour est-il présent?
Pour moi, il faut apprendre à parler le zen et le bouddhisme en français, ce sera un vrai acte d'amour : on en fera une pratique vivante chez nous, et pas un ésotérisme exotique.
Le monde japonais est en fait plein d'une poésie aimante et discrète. Les japonais sont pudiques. Ils sont très violents aussi. Mais ils ont un sens de l'intimité qui nous échappe. Ils vivent dedans, sentent dedans. Une amie japonaise me disait que pourtant elle aimait les manifestations affectives occidentales (bon, méditerranéennes, c'est pas le même monde!), car elle souffrait de cette réserve. Mais ils ont cette réserve, et du coup on peut facilement rendre l'expression de l'amour taboue dans le zen, et ne voir dans le christianisme que de la mièvrerie.
Pour moi, c'est une lecture superficielle. Je pense aussi que je zen est arrivé dans les 68s, et que ses enseignants sont marqués par une culture qui s'est construite en rejet d'un catholicisme traditionnel, d'une certaine vieille France. Or, je pense que du coup ils jettent le bébé avec l'eau du bain.
Un pratiquant, sur FB, me branchait un jour en me disant qu'il cherchait un bon vieux maître zen chrétien. J'ai trouvé qu'il exprimait un vrai truc, une vraie demande, un vrai besoin : un zen de chez nous.
Thai Doji, un occidental qui a fait 10 ans de Rinzai, et dix ans chez TNH, fait toujours des sesshins. Mais il a inclus dans son enseignement des apports qu'il tire de l'orthodoxie chrétienne, lié à A. De Souzenelle. Un ami du zen a fait ce même virage en se tournant vers elle.
Pour ma part, je ne me sens pas bouddhiste au sens d'appartenir à un clan religieux. Je me sens concerné par le message du Bouddha, et par la façon dont il a évolué dans cette lignée qui me concerne, et d'autres aussi. Mais apprendre une langue pour oublier ma culture de base, en fait ça ne marche pas.
Parler d'amour ne me dérange plus : Dogen dit dans le Fukanzazengi que le zen n'est pas l'apprentissage de la méditation assise, mais le parfait dharma de paix et de bonheur. Ca c'est exprimer l'amour. On n'est plus là pour refuser notre culture, on doit apprendre à vivre le zen dans ce monde.
Et dans ce monde, je suis français, avec des origines slaves, pyrénéennes, probablement arabo juif espagnol.
et on y parle d'amour.
Et quand on explore bien le sens des mots, de l'enseignement, la vacuité, l'éveil, zen-méditation, ne font qu'exprimer une disposition d'esprit qui nous permet de nous rendre ouverts et disponibles, aimants. Quoi de plus lié à l'amour? Tous les discours pour dire qu'on devrait dire comme ci ou plus comme ça, sont en fait un luxe bourgeois de tordre les pensées en quatre, quand il y a plus important à faire que de commenter ce qu'il vaut mieux pratiquer dans le réel.
PS : si vous voulez voir un superbe film japonais qui suinte l'amour de partout, allez voir "Still the water". Ils ne sont pas bouddhistes, mais vivent avec les esprits de la nature. Mais j'y trouve l'âme de ce peuple et ce qui passe aussi à travers la culture japonaise dans le zen. Ce film m'a beaucoup ému et touché, j'ai trouvé une grande force tendre et soutenante à la fois, au milieu d'un monde qui souffre. Les zenistes qui veulent aller s'enfermer dans un temple au Japon devraient d'abord visiter le monde que propose ce film. Car là, l'amour s'y exprime avec et sans les mots. Allez-y vraiment, vous ne regretterez pas.