Kaïkan
Bonjour,
Dans le zen, traditionnellement, on ne donne pas beaucoup d’explications et le questionneur est la plupart du temps renvoyé face au mur pour se confronter à l’expérience directe. Les mots ont en effet des limites et à partir d’un certain point il devient difficile de se faire comprendre sans risquer la confusion ou la fausse interprétation dans l’esprit de l’interlocuteur.
M°Mokudo Taisen Deshimaru n’a cependant pas hésité a donner de nombreuses explications détaillées au sujet de l’attitude vis-à-vis des pensées, et cela était pour ses disciples un enseignement sous forme de koan.
Un enseignement sous forme de koan, ou comment faire compliqué quand on peut faire simple.
Je me suis souvent demandé si l’enseignant n’était pas finalement peu enclin à transmettre son savoir dans la mesure ou si vous confiez vos secrets ou vos trucs, c’est prendre le risque de perdre votre pouvoir et votre suprématie sur l’élève. Il y a des « enseignants » qui sont comme cela.
Pour revenir à cette image de : « laisser passer comme des nuages dans le ciel », il est possible de présenter cela de mille autres façons.
Par exemple on pourrait dire : « laisser passer comme des passants sur le trottoir » lorsqu’on est assis à une terrasse en train de déguster un café ou un thé…
Les passants petits, grands, jeunes, âgés, défilent dans le champ de vision (le ciel) qu’ils soient nombreux ou rares, la concentration est surtout portée sur la tasse de café ou de thé.
Ce qu’il faut retenir c’est l’indifférence envers les pensées qui ne sont ni saisies ni rejetées.
Sacré Kaïkan, ce sont encore des métaphores visuelles !
Peaceful a employé le terme : "dissociation" ce qui me semble judicieux en l’occurrence mais à utiliser avec précautions.
En effet on est à une limite "brulante" au sujet de la compréhension d’hishiryo…
Entre parenthèse certain médecin-psychiatre éminent n’a pas hésité à insinuer que les pratiquants de la méditation assise, se mettaient en quelque sorte dans un état de "schizophrénie artificielle", ce qui est une vue erronée due à la déformation professionnelle de l’auteur.
Quoi qu’il en soit la difficulté réside dans l’attitude et cela doit être clarifié. Peaceful a "flairé" une piste (auditive) mais il peut très bien se fourvoyer car la manœuvre est très délicate. On peut "entendre" ses pensées, celles des autres ou même des pensées venues de nulle-part (du mental universel diront certains) a condition d’avoir un vrai "lâché-prise" et d’être en fushiryo (non-pensée) ; on entend avec l’ouïe subtile et non de la façon habituelle de l’oreille. Mais si on cherche à écouter au lieu de simplement entendre, le mental va interpréter ce qui est ouï et le transformer selon son gré, ce qui peut effectivement être comparé à un trouble psychique et devenir morbide.
Bien pour la précision. Cette façon d’entendre la pensée fait écho en moi et la problématique qui peut en découler me parle aussi : vous percevez votre pensée automatique et au lieu de la laisser passer vous faites un commentaire sur elle. C’est très courant pour ce qui me concerne. Et c’est lié à la tentative de neutralisation de la pensée. Je m’explique : il n’est pas toujours aisé d’être dans la dé-préoccupation vis-à-vis de ces pensées dramatiques qui surgissent car elles sont crédibles et ont une valence émotionnelle. Ce n’est pas comme si ces pensées étaient irrationnelles ou neutres , donc faciles à écarter.
Mokudo Taisen nous dit : « On pense mais on ne pense pas… On pense du tréfonds de la non-pensée… On pense sans penser, inconsciemment, sans y penser.
Zazen est le retour à la condition normale. Les tibétains disent : "L’esprit est dans sa condition ordinaire, tel quel, lorsqu’on ne l’utilise pas. "
Franchement, je trouve cela mal formulé et confus ! Et, à mon sens, si je ne m’y retrouve pas c’est parce dans ces expressions de provenances étrangères on ne fait pas les distinctions qui s’imposent( pensées/conscience).
Il y a d’une part : 1) les pensées automatiques et inconscientes. 2) les pensées conscientes du type de celles que vous pouvez avoir lorsque vous jugez ou lorsque vous réfléchissez. 3) Ce qui relève de la perception des pensées (ou la conscience, si vous préférez). Si vous pouvez reformuler cela à partir de ces catégories, cela sera très probablement plus clair pour moi.
Il faut donc veiller à ce que rien ne soit saisit. Lorsqu’on ferme le poing on obtient quelques grains de poussière. Lorsque la main reste ouverte toute la poussière des étoiles de tout l’univers peut passer sur sa paume.
Oui, se laisser traverser par la pensée et si elle s’accompagne d’une émotion perturbante, accepter l’angoisse ou la douleur qu’elle procure. C’est, en effet, une solution envisageable. Mais on touche là à quelque chose d’assez difficile à atteindre et qui, parfois, n'est pas sans rapport avec la désespérance.
Lausm OK.
Bon, les choses se précisent, et c'est bien.
Donc ton symptôme est une anxiété, et le désir de comprendre ce que tu penses ou comment tu penses l'espoir de le résoudre. Ok, c'est plus clair pour moi, comme quoi une bonne reformulation, c'est très bien.
Effectivement, tu peux continuer à suivre la piste de nommer ses pensées. La méditation Vipassana en parle comme moyen. D'ailleurs, les bouquins sur le vipassana sont très intéressants, tout le bouddhisme theravada a à nous apprendre, j'en ai tiré des choses pour zazen. Où en fait souvent ces choses ne sont pas enseignées alors que pour des pratiquants chevronnées, ce sont des éléments techniques acquis.
Ce n'est donc pas antinomique.
L'anxiété, en médecine chinoise, est lié à la rate estomac. Or, la pensée, la rumination mentale, voire la fixation, est liée aussi à cet organe. As tu une appétence pour le sucré? La saveur dite douce est liée à cet organe. Parfois une régulation alimentaire joue profondément sur l'état du corps et de la pensée.
Non, je suis plutôt « salé ». Sinon, oui, il a été prouvé que les substances excitantes comme la caféïne ou la nicotine favorisent le stress et l’anxiété.
Mais la pédagogie "orthodoxe" de zazen, est celle que décrit Kaikan, donc je ne vais pas être redondant. On insiste plus sur l'observation d'un processus plus large que la pensée elle-même. D'où le corps comme contenant, centre de transit d'informations. Observer plus le mouvement d'allée et venue, le surgissement disparition, que le contenu mental en lui-même. Je dirais qu'il ne faut pas y mettre trop de tension(dans l'attention). Mais trouver un juste tonus, pour que la vigilance puisse s'exercer avec douceur et fermeté à la fois.
Hum! Là encore, et c'est probablement très personnel, j'ai le sentiment qu'il me faut me "recentrer" en prenant conscience de l'ensemble du corps. Il se détend alors profondément, la position allongée étant plus propice pour moi. Donc en état de relaxation profonde et les yeux ouverts, au bout de 30 à 40 minutes, j'accède plus facilement à la "pleine conscience".
Je pense que dans ton cas, néanmoins, un renforcement du corps, de l'énergie corporelle, serait bénéfique, pour pouvoir parvenir au résultat que tu vises. Plus d'activité physique, moins de concentration mentale, et sûrement tu percevras mieux tes pensées.
Parlant de Gerda Boyesen, je comprends ton scepticisme. Pour ma part je n'ai fait qu'une expérience de cette technique. Cela m'a fait du bien et je pense que j'ai besoi d'une approche du genre. J'ai lu son expérience, mais toute technique est liée à une histoire singulière. La sienne me parle, et je n'en fais pas une fin en soi. Depuis le temps je commence à savoir utiliser les thérapies et leurs limites.
C’est toujours le même problème avec ces thérapies non conventionnelles. Elles sont parfois efficaces, c’est vrai. Elles veulent se justifier en utilisant un langage scientifique, mais en réalité, les explications ne tiennent pas la route.
tout discours a ses limites, nous aussi dans le zen on a nos limites et différences. Mais si chacun trouve son compte dans ce que chacun a à dire de particulier, ça peut être une bonne chose. Chaque théorie a toujours ses points de références particuliers, à nous de ne pas les fixer et d'évoluer, sans les bousculer tout le temps.
Perso, je n'ai pas la meme approche de Kaikan concernant la conscience : je ne pense pas que la conscience soit tournée vers le corps tout entier, cela serait supposer qu'elle a un début et une fin et aussi une limite à partir de laquelle cela voit et cela ne voit pas. Or la conscience dont on parle dans ce cas-là n'est pas personnelle. Elle ne s'aliène à aucun objet. On commence effectivement à se concentrer sur le corps, mais pour moi cela débouche irrémédiablement, si ce n'est pas déjà être le point de départ, sur l'esprit. Est-ce nous qui regardons notre corps, est-ce cela qui nous regarde, qui regarde à la fin???
De cela, je ne peux rien dire, il n'y a pas de réponse, et pour moi c'est la spécificité de zazen : une méthode non graduelle. Donc pour moi il n'y a pas d'abord le corps pour aboutir à l'esprit.
Eh bien, il arrive que cela vienne d’un coup mais pour ce qui me concerne, c’est très occasionnel. Ayant tendance à avoir une conscience focalisée et un fonctionnement analytique, je suis plus de l’avis de Kaïkan. J’ai besoin de m’y mettre et... je n’y arrive pas toujours.
Il y a d'emblée un corps-esprit Un, avec toute la prise de conscience graduelle de nos divisions et des moyens de les règler.
Mais peu importe que je pense différemment. Chacun peut puiser des points de vue différents, moi-même ils m'apportent un éclairage différent même si je ne suis pas d'accord de prime abord.
Ce qui compte c'est le fait de vouloir chercher et de vouloir s'éclairer.
A partir de là on peut arriver à comprendre, ce qu'on met chacun derrière les mots, car le sens commun dont tu parles n'empèche pas que chacun n'y voit pas forcément la même chose.
Et ce n’est pas parce que nous avons sensiblement le même cerveau que nous fonctionnons tous de la même façon.