UJI
Chapitre 11 du Shōbōgenzō.
Eihei Dogen's The Time-Being (Uji)
►L’être-temps ◄
Translated in english by Reiho Masunaga
Traduit en français par Kaïkan Taïshin d'après le texte anglais de Reiho Masunaga.
Dans cet essai Dôgen présente son idée particulière du temps. Bien que Dôgen ait déjà traité de ce sujet par ailleurs, il donne le traitement le plus détaillé dans Uji. Dôgen écrivit Uji au début de l'hiver 1240 quand il avait 41 ans. En ce temps il résidait à Koshsoji dans la banlieue de Kyoto.
Texte (Uji)
Le maître zen (Yueh-shan) dit :
"Se tenir au sommet d'une haute montagne est uji.
Plonger au plus profond de l'océan est uji.
Celui qui a trois têtes et huit bras est uji.
Celui qui trône et fait seize ou dix-huit pieds est uji.
Le bâton et le chasse-mouches sont uji.
Le pilier et la lampe sont uji.
Vous et votre voisin sont uji.
La grande terre et le vaste ciel sont uji."
Cet uji signifie que le temps est l'existence et que toutes les existences sont le temps.
Le corps en or de seize pieds est le temps. Parce que c'est le temps, il y a les ornements et les lumières du temps. Ainsi nous devons nous confronter à l'étude pendant les douze heures. C'est le temps qui fait surgir le corps avec trois têtes et huit bras. Parce que c'est le temps, il y a interpénétration avec les douze heures du présent.
[NDT : Dans le Japon ancien, on désignait le temps et les directions par les douze animaux des signes de l'astrologie chinoise. La journée japonaise était divisée en douze heures doubles, qui valaient à peu près deux de nos heures actuelles, leur durée variant légèrement selon les saisons. On retrouve l’utilisation de ces heures dans de nombreux livres sur le Japon ancien. ]
- 1
Bien que nous n'ayons pas encore évalué le laps de temps de 12 heures nous l'appelons 12 heures. A cause des traces que laisse le temps qui passe, on n'en doute pas. Bien qu'il n'ait pas de doute, l'homme ne comprend pas. Parce que l'homme ordinaire ne pense pas du plus profond de lui-même, il doute bien sûr de toutes les choses qu'il ne comprend pas entièrement. Pour cette raison, ses doutes futurs ne s'harmoniseront jamais avec ses doutes présents. Et même le doute n'est rien d'autre qu'une portion de temps.
- 2
Il n'y a aucun monde sans ce soi qui doute, car ce soi est le monde lui-même. Nous devons regarder chaque chose de ce monde comme le temps. Chaque chose se manifeste sans entrave exactement comme chaque moment se positionne en toute liberté. Donc, (du point de vue de temps) le désir de l'éveil surgit spontanément; (du point de vue de l'esprit) le temps surgit avec le même esprit. Ceci s'applique aussi à la pratique et à l'éveil. Ainsi nous voyons en le pénétrant : que le soi est le temps lui-même.
- 3
La vérité étant ainsi, nous devons apprendre qu'il y a beaucoup d'aspects et de brins d'herbes différents partout sur terre et que chaque brin d'herbe et chaque phénomène ne sont pas séparés de la terre entière. Être de cet avis est le point de départ pour la pratique. Quand nous atteignons cette sphère de la fin de notre voyage, il y a un seul brin d'herbe et un seul aspect. Parfois nous comprenons l'aspect, parfois pas du tout. Parfois nous comprenons le brin d'herbe, parfois pas du tout. De cette façon la pratique et l'éveil varient). Parce que c'est seulement le temps de cette sorte, uji est tout le temps, et chaque brin d'herbe, chaque phénomène est le temps. A chaque moment il y a toutes les existences et tous les mondes. Essayez de penser – Y a-t-il aucunes existences ou mondes séparés du temps ?
- 4
Pour les gens ordinaires qui ne connaissent pas le bouddhisme, la pensée suivante apparaît quand ils entendent le mot uji. À une époque, le Bouddha était actif avec trois têtes et huit bras et à un autre moment, il avait un corps de seize ou dix-huit pieds. Comme il a traversé les rivières et les montagnes; la montagne et la rivière - nous l'avons dépassé et habité dans ce palais majestueux; la montagne-rivière et nous, c'est comme le ciel et la terre.
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Mais le temps n’est pas seulement que ça. Au moment où les montagnes furent escaladées et les rivières traversées, vous étiez présents. Le temps n'est pas séparé de vous, et comme vous êtes présents, le temps ne s'échappe pas. Comme le temps n'a pas l'aspect d'apparaître et de disparaître, le moment où vous escaladez la montagne, c'est exactement maintenant. Si le temps prend l'aspect d'apparaître et de disparaître, vous êtes l'être-temps qui est, exactement maintenant. C'est cela la signification de l'être-temps (uji). Est-ce que cet être-temps n'avale pas le moment quand vous gravissez la montagne, et le moment quand vous résidez dans le palace de joyaux et de la tour de vermeil ? Est-ce qu'il ne les recrache pas ?
Trois têtes et huit bras peut être le temps d'hier. Le corps de dix-huit ou seize pieds peut être le temps d'aujourd'hui. Pourtant hier et aujourd'hui sont tous deux le même moment, juste quand vous pénétrez la montagne et voyez des milliers de myriades de sommets d’un coup d’œil. Le temps lui-même s’écoule maintenant. Même (d'hier) trois têtes et huit bras passent comme notre uji. Cela semble être là-bas, mais c'est maintenant. Même (aujourd’hui) un corps de seize ou dix-huit pieds passe comme notre uji ; Il semble que ce soit là-bas, mais c'est maintenant. Donc le pin est le temps ; le bambou est le temps. Ne pensez pas que le temps file simplement. N’apprenez pas que la seule fonction du temps soit de survoler. Car si vous reconnaissez le temps comme seulement quelque chose qui file, il y a un intervalle (entre aller et venir). La vérité d’uji n’est pas vraiment saisie lorsque le temps est compris comme seulement quelque chose qui passe.
<<< à suivre >>>