Hommage à Shogetsu Taishin Bukohin
Quand je suis arrivé en France, j'ai fait cette expérience: les bouddhistes Hinayana voulaient éliminer les femmes du dojo. Ce n'est pas le vrai Bouddhisme. Justement aujourd'hui, c'est le treizième anniversaire de la mort de Rose-Marie, le 30 janvier. Elle fut ma première secrétaire et elle s'opposait constamment avec M.J. à ce sujet.
A mon arrivée, je faisais zazen au Kameo, un magasin macrobiotique dont le groupe m'avait invité pour aller enseigner zazen au camp du Brusc. Puis ils m'ont demandé de continuer zazen dans leur dépôt à l'arrière du magasin. Sur le béton. C'était un bon dojo. C'est alors que Rose-Marie m'a rendu visite avec Monique, la secrétaire du magasin.
Zazen s'est répandu, des professeurs de yoga sont venus, des médecins. Puis j'ai changé pour la rue Saint-Augustin où je devais payer un loyer. C'était très difficile pour moi. C'est à ce moment-là que Janine Monnot commença de venir. Elle était très bien avec Rose-Marie. Elles ont préparé l'organisation de l'Association Zen d'Europe. M.J. n'aimait pas qu'il y ait des femmes au Comité, il était mécontent. Toujours, il allait répétant que les femmes n'étaient pas favorables dans le Bouddhisme, qu'il fallait un secrétaire homme, etc ... Ma mission était difficile. Je voulais retourner au Japon. L'influence de Rose-Marie fut bonne. Pendant que j'étais à Nice et à Cannes, elle déménagea le dojo dans un grand immeuble, avenue du Maine, avec Janine Monnot. Rose-Marie faisait partie d'une grande famille protestante. Elle me fit don d'une édition du Nouveau Testament publié dans sa famille. Je l'ai toujours dans ma chambre. Mais sa famille, mécontente de sa venue dans le Zen, lui retira sa voiture neuve et elle dut se contenter d'une voiture usagée. C'est ainsi qu'elle eut son accident et mourut le 30 janvier, un jour de neige où elle emmenait ses enfants aux environs de Paris. Elle m'avait proposé de les accompagner, mais j'avais prévu de lui donner ce jour-là l'ordination. Elle me l'avait longtemps demandée. J'avais jusqu'alors refusé car sa famille - apparentée au Dr Schweitzer - était contre. Elle avait pleuré et m'avait supplié. Aussi lui avais-je donné rendez-vous le 30 janvier, ce jour-là justement. J'étais invité par E. et G. à déjeuner. J'avais toujours le projet de retourner au Japon. Mais Rose-Marie m'avait dit: « Je vous en prie, Sensei, restez, ne faites pas attention à M.J. Monsieur Lambert, lui, est au-delà, et avec Janine Monnot et lui nous sommes très bons amis. » Elle était donc partie avec ses trois filles. J'avais refusé de me joindre à elles, inconsciemment, bien que j'aime voir la neige. Et précisément, elle ne revint pas. Janine Monnot était venue l'après-midi. Nous avions bavardé puis elle était repartie. Et Rose-Marie, d'habitude ponctuelle, n'arrivait pas. A huit heures du soir, elle n'était toujours pas là. Alors j'ai fait venir Denise T. qui aidait au Dojo. Elle était très sérieuse, très sincère et loyale. Je lui demandai d'abord de téléphoner chez Rose-Marie. Elle revint bientôt en me disant: Rose-Marie est morte.
C'est aujourd'hui le jour anniversaire et je dois redire ma gratitude pour elle en ces temps difficiles où je souffrais, me demandant si je devais retourner au Japon ou non. Je ne lui ai pas donné l'ordination ce jour-là, mais c'est ce même jour que j'ai décidé de rester en Europe pour ma mission, afin de donner l'ordination aux Européens. C'est un souvenir douloureux que cette mort, mais pour ma mission cela a été un point fort; mon esprit a soudain ressenti la puissante détermination de demeurer en Europe. Ainsi les femmes sont parfois plus fortes que les hommes pour être missionnaires. Elle eut une meilleure influence que M.J.
Rose-Marie repose près de sa famille au cimetière de Thonon, et je lui ai rendu deux fois visite avec mes disciples. Aujourd'hui, c'est juste le jour pour faire à son intention Raihai Tokudo.
Dõgen a loué les femmes: elles sont plus fortes dans la vie religieuse, disait-il. Rose-Marie avait vraiment abandonné son corps et obtenu Raihai Tokuzui. C'est là un bon exemple de raihai que je puis vous donner aujourd'hui. J'avais été très impressionné par elle, il y a treize ans.
Nous allons offrir le shoko, l'encens, pour Shogetsu Taishin Bukohin (c'était son nom zen). Un nom hautement digne de respect, dont le sens est: Illumination du Bouddha.
Taishin signifie: esprit saint (comme Taisen). Getsu est la lune. C'est un très beau nom. C'était la première fois que je donnais trois noms à la suite.
Ce matin, le ciel
Pour notre bien a pleuré...
Perle de rosée