Je suis d'accord avec Kaïkan.
Proclamer son éveil est très, très risqué. Mais pratiquer le Dharma ne veut pas non plus dire "ne pas prendre de risques". Le zen n'est pas forcément uniquement "le confort".
Croire en son éveil serait encore plus grave que de le proclamer. De toute façon, s'il y a une réalisation pouvant mériter l'appellation "
éveil", elle est nécessairement en-dehors du domaine de
la simple croyance.
Il me semble que "Au-delà de la pensée" (hishiryo) implique : "au-delà des possibilités du langage." Comment donc pourrait-on
parler de l'éveil ? Ne peut-on pas simplement
actualiser l'éveil, ici et maintenant ?
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Pourtant, dans certains cas, peut-être que proclamer "son" (mais est-ce "le sien" ?) éveil (à condition, comme précisé ci-dessus, de ne pas y croire) est un bon moyen de "secouer" la motivation de ceux qui pratiquent sincèrement.
C'est une voie très risquée, qui, il me semble, est plutôt celle du Rinzaï, où l'on pense que la parole peut susciter l'éveil, le provoquer, dans tous les sens des termes. Mais alors même dans le Rinzaï, qui prônerait une voie subite, il faudrait avoir "l'équilibre de la méditation" pour pouvoir "rencontrer la foudre".
Zazen n'est pas optionnel dans le Rinzaï, il me semble.
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Dans le Soto, il me semble qu'on parle plutôt de "réalisation silencieuse" ; je ne me souviens plus du terme exact. Les maîtres de cette voie ne proclament par leur éveil.
Cela me semble plus pertinent, car en lien avec hishiryo. Si on ne peut pas le penser, alors à plus forte raison : comment pourrait-on le dire ?
S'il suffisait de le dire et de l'entendre, alors pourquoi ne suffirait-il pas de lire Dogen ou Bouddha pour s'éveiller ? EDIT : vu la complexité des sources, tout indique qu'on ne peut pas lire Bouddha : il n'a pas écrit lui-même, seuls ses disciples l'ont fait, peut-être trop longtemps après son enseignement oral. Cela veut peut-être aussi dire qu'un véritable enseignement ne peut être qu'oral : de corps-esprit à corps-esprit, "i shin den shin" ?
Mais : corps-esprit : là où il y a l'esprit, il y a aussi le corps. Il ne faut donc pas non plus trop sous-estimer l'importance de la parole, et à fortiori, de la parole juste.
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Dans tous les cas, les mises en garde de Dogen sont importantes : on a tous la nature-de-Bouddha. Mais croire que cela nous dispense de pratiquer serait tomber dans ce qu'il nomme "l'hérésie naturaliste".
Car les concepts importent moins que la justesse des actes et de notre comportement : d'où le
noble octuple sentier.
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Tout ceci m'amène à cette conclusion : on ne peut pas en parler, et pourtant il faut tenter de l'exprimer. Comment faire ?
Autre conséquence : un forum n'est-il pas nécessairement un peu plus rinzaï que soto ? Dans tous les cas, les deux traditions insistent sur la nécessité de la "présence".
Je crois que cela implique aussi que sur un forum, il y a toujours quelque chose de lacunaire. Ai-je donc bien raison d'y consacrer beaucoup de temps en écrivant ce long message ?
Je ne crois pas. Et pourtant (décidément, je suis très fatigant : j'ai toujours un mais, et parti comme je suis, je pourrais bien ne pas m'arrêter : voilà un signe certain d'un relatif manque de justesse ; il faudrait que j'aie un peu plus confiance dans le silence... J'ai encore du boulot à faire, je l'avoue volontiers ! ), et pourtant, écrivais-je :
comment ne pas tenter, d'une manière ou d'une autre, de faire honneur au Dharma en essayant, bien que cela soit impossible, de "faire sens" vers lui ?Quoique j'ai écrit ce message, je vous invite, lecteurs, à ne pas perdre trop de temps à le lire.
J'ai déjà bien trop abusé de mon "temps de parole". Je vous présente donc mes humbles excuses pour tout ce bruit, et j'espère malgré tout qu'un lecteur avisé, sans s'attacher à mon blabla, pourra "en tirer quelque chose".
Bonne pratique à tous.